Votes pour le match d’écriture Etrange Grande 2024 – « Transmettre c’est omettre »

 

C’est compliqué la transmission. Transmettre quoi, à qui, quand, consciemment ou non.
C’est peut être encore plus compliqué de choisir quoi ne pas transmettre. 

Deux textes pour ce thème « transmettre c’est omettre », à vos votes

 

  • La visite.
  • Fille de serpent

Contrainte : 

Contrainte objet/Personnage Ordinateur cantique

 

 

 


La Visite.


Error 404.

Le serveur est HS.
Impossible pour moi d’avoir accès à mes données. J’ai l’envie subite de balancer le monitor par la fenêtre. « Cantic » est inscrit sur un coin de l’écran. C’est pas un cantique que j’ai envie de réciter, mais de hurler une longue litanie d’injures à cette machine qui fonctionne aussi bien qu’un jeu infograme !
Ma classe arrive dans une heure et je n’ai toujours pas accès à mes infos ! Je lance des regards inquiets autour de moi. Personne ne semble remarquer mes angoisses. Tant mieux ! Si je peux conserver mon air vaguement détendu, peut-être mes visiteurs ne se rendront compte de rien.
À force de mitrailler la touche du clavier pour actualiser la page, j’ai l’impression que mon doigt devient plat.
Je respire un grand coup. Mon esprit gratte toutes les boites de ma mémoire pour tenter de retrouver toutes les informations essentielles à ma visite. Hélas, ma fichue manie de ne retenir que les choses inutiles me joue des tours. Bon, que vais-je bien faire de toutes ses informations ?
Perdue dans le dédale de souvenirs de fac, l’écran affiche enfin quelque chose. Je manque de bondir de ma chaise. Ma déception est à la hauteur de mes espérances : presque totale.
Ce ne sont pas mes informations qui noircissent l’ordinateur.
Une fenêtre me propose d’entrer une recherche. Sur le moment, c’est moi qui bug. Impossible de fermer ce truc. La touche « échap » est aussi réactive qu’une ampoule sur la tête d’un chat roux (pardon à mon bébou de chat roux).
Je regarde ma montre. 30 minutes avant l’arrivée de la classe. Je serre les dents. Je me risque donc à taper un des mots clés de ma future visite.
« César ».
Le doigt aplatit sèchement la touche « entrée ». Une petite fenêtre apparaît. L’icône d’un casque audio clignote en rouge à côté d’une ligne de texte : N’oubliez pas de brancher votre casque.
Je demeure interdite quelques instants. Je me mords la lèvre. J’ignore si je dois dire « heureusement » mais j’ai toujours des écouteurs dans mon sac.
Je m’exécute. Puis je clique sur OK avec une certaine appréhension. Le son explose dans mes oreilles.
« Si nous pouvions revenir en 52 avant Jésus Christ, dans ces heures héroïques sur le plateau de Gergovie, quand César au beau fixe prit la raclée de sa vie, Vercingétorix lança ce chant magique… »
Ces paroles, tel un véritable bélier en plein siège, enfoncent les portes de ma mémoire. Mes connaissances fusent dans mon esprit. Les brides de ma visite guidée me reviennent comme la marée.
Je sèche à nouveau. La fenêtre est toujours là. J’inscris le mot « gaulois » dans la barre de recherche. Après la fenêtre d’avertissement pour le casque, une nouvelle chanson débute :
« Astérix est là ! Ça va faire mal, ça va cogner la bagarre ! Avé César, tu cherches la bagarre, t’as qu’une idée fixe, mais t’oublie Obelix. »
Le coup d’umbo dans les dents ! Encore une vague d’information qui déferle en moi.
Mon groupe sera là dans 15 minutes. Je tente encore une fois ma chance avec l’ordinateur. Cette fois, je tape « combat ». Bis repetita (enfin tri repetita ?) avec l’avertissement du casque.
« […] Akim le fils du forgeron est venu me chercher, les druides ont décidé de mener le combat dans la vallée […] »
Je prends un mur ! Non ! Ça, ça va pas ! Les paroles de la chanson me hérissent le poil. Alors que je m’apprête à râler contre la machine, c’est un raz-de-marée d’idée reçue sur mon sujet qui me submerge.
Ma visite guidée m’apparaît. Elle ressemble à un vieux film lacunaire à cause de la bobine qui a débuté son processus d’auto-destruction.
BONJOUR MADAME !
Je relève le nez de mon écran. J’arrache mes écouteurs de mes oreilles en me confondant en excuses. Je n’ai pas entendu le groupe de collégiens arrivé. Certains se moquent un peu de moi. Mais peu importe !
Je bondis de ma chaise, je saute devant le premier panneau de médiation, le sourire aux lèvres. Et sans la moindre hésitation, je me lance dans la bataille :
— Bienvenue au Musée du vieux Musée de l’Histoire des Gaulois.

***

Les enfants s’en vont avec un sourire aux lèvres. Moi je suis contente. Les enseignants n’ont pas cessé de me féliciter pour mon dynamisme et mes connaissances, aussi bien historiques que celles en lien avec la Pop Culture.
« Oh, vous savez, j’ai tout appris dans les livres » m’entends-je dire.
Une fois seule, je m’effondre devant l’ordinateur, toujours allumé sur cette étrange fenêtre. Sauf qu’un nouveau petit message apparaît :
« Tu as les références que tu mérites ».

Ouais, heureusement que j’ai pas dit aux profs d’où venait mon inspiration.

 

Contrainte  temps/lieu/ événement Premier sur la liste d’attente
Contrainte objet/Personnage La personne la plus gentille du monde

 

 

 

Fille de serpent

Viens là, toi, oui. Toi. Toi qui attends dans l’ombre de mes anneaux depuis si longtemps. Toi qui es la première sur la liste d’attente que j’ai dressée. Raconte. Raconte ton histoire telle que tu l’as vécue. Raconte tes actes, tes promesses tes sacrifices. Raconte qui tu as été, tout le temps où tu as cheminé sous mon ventre. Je suis le Dieu-Serpent. Ma mâchoire a senti la vibration de tes pas, ma langue a goûté ta détermination, mes yeux ont observé tes rêves, mes fossettes ont perçu la chaleur de tes tripes.
Et pourtant, je ne te connais pas. Je ne sais rien de ce qui t’a animée, de l’héritage que tu as laissé. Alors parle. Agite ta langue épaisse, fritte-la contre tes dents plates, et raconte-moi tout. Ce sera à moi de juger, ensuite, si je t’avale, si je t’étouffe, ou si je t’autorise à continuer ta route.
Ah… ta bonté est célèbre, alors ? À travers tout le continent que j’écrase sous mes écailles ? La plus gentille du monde, tu dis ? Mais ce n’est pas ce que je te demande. Je veux des faits, rien d’autre. Oui, voilà. C’est là que tu es née, dans cette rivière de sang que les Hommes déversent pour me plaire. Mes prêtres ont ouvert le ventre de ta mère, ils t’ont arrachée à elle, ils ont tranché ton cordon de leur couteau d’obsidienne. Elle est morte, bien sûr, puisqu’elle m’avait été offerte. Mes prêtres t’ont recueillie, toi qu’ils considéraient un peu comme ma fille. Ils t’ont nourrie du lait de femme et de jaguar, et tu es devenue puissante, féline, hégémonique. Ils ont cherché à te dominer, à t’utiliser, mais comment auraient-ils pu, quand tu étais fille de jaguar, fille de serpent, fille de sang ? Tu n’avais que quatorze ans mais tu leur as échappé, et tu as quitté cette ville sacrée qu’ils ont bâtie pour moi. Oui, je m’en souviens. C’est là que la trace que je garde de toi se fait moins nette.
Beaucoup t’ont suivie. Ceux qui étouffaient sous mon joug, ceux que mes prêtres faisaient travailler jusqu’à la mort, ceux qui se laissaient exploiter, abuser. Ils ont été des centaines à marcher dans tes pas, à ouvrir le cœur de la jungle pour toi, à faire fuir les prédateurs, les araignées, les reptiles en frappant la terre des marécages. Les singes et les oiseaux se taisaient sur votre passage, les branches s’écartaient, le fleuve se retirait. C’est là que tu as fondé ton empire. Un simple regroupement de huttes, au début. À ceux qui n’étaient rien, tu as offert un toit, tu as rempli leurs auges. Jamais tes sujets n’ont souffert de la faim, du jour où ils t’ont choisie comme souveraine. À ceux que les sévices passés tourmentaient, tu les as soulagés, tu as apaisé leurs cri et leur détresse. Les animaux, esprits des dieux qui fuyaient les sacrifices avides de mes prêtres, tu les as recueillis et tu les as soignés. Et tu grandissais, toujours plus forte, toujours plus entière, toujours plus sûre de qui tu voulais être.
Bientôt, t’occuper de ceux qui venaient à toi ne t’a plus suffi. Tu voulais que la paix qui ordonnait ton royaume se répande sur toutes mes terres ; que tous les Hommes soient libres.
Alors tu as marché de nouveau. Tu es revenue dans cette cité où tu étais née et tu l’as libérée. Ceux qui te résistaient, tu les as embrassés, tu les as serrés contre ton cœur comme l’aurait fait ta mère si elle avait vécu. Et à chaque fois, quand un groupement, une nouvelle cité, un nouveau royaume rejoignait ta vision de la paix, tu donnais d’immenses festivités, où chacun des Hommes libérés étaient conviés.
Voilà où tu en es, n’est-ce pas ? Toi qui t’es donnée entièrement, depuis l’aube jusqu’au seuil de ta vie, toi t’es consacrée sans jamais t’économiser à ceux que tu avais juré de libérer, toi qui as presque atteint ton objectif, voilà qu’une lame d’obsidienne a déchiré tes poumons. Le sang, celui par lequel tu étais née, celui qui avait guidé tes pas et ta vie, t’a noyée jusqu’à te tuer. Et te voilà devant moi, première de toutes les âmes que j’ai finalement décidé d’écouter.
Dis-moi, fille de serpent, fille de jaguar, toi l’âme la plus bonne que ma terre a porté, toi qui as tout sacrifié à ceux que tu as libérés, qui a pu t’en vouloir au point de t’assassiner ? N’as-tu pas omis quelque détail, au cours de ton récit ? Car ma langue perçoit la saveur du manque, le parfum de la mort.
Ces viandes, que toujours tu as fournies à ceux qui te servaient, de quel animal ont-elles été prélevées ?
Ces souffrances, que tu as su apaiser, par quelle médecine miraculeuse les as-tu soignées ?
Ces animaux que tu as recueillis, comment les as-tu ensuite rendus à leur nature ?
Ces Hommes entravés que tu as libérés, comment as-tu dénoué leurs liens de laine ? Ces baisers que tu as donnés à tes ennemis, quelle force avaient-ils ?
Et ces fêtes que tu as données, pourquoi ne m’en dis-tu pas davantage ?
Alors, humaine ? Ta langue est-elle désormais sèche, atrophiée, comme le sont les sangsues quand vient la décrue ?

« À quoi bon tout te dire, mon père reptile ? Pourquoi poser des questions dont tu connais les réponses ? À quoi servent les détails, quand tout ce qui compte, c’est le résultat ? La liberté, dans ce monde ou dans l’autre. Alors, soit. Entends-le de ma voix : mon peuple s’est nourri de la chair de nos ennemis. Ceux qui souffraient, j’ai abrégé leur calvaire en envoyant leurs âmes rejoindre tes écailles. Ces animaux que j’ai sauvés d’une mort cruelle, ils se sont offerts à moi et je les ai dressés à dévorer ceux qui refusaient la paix. 
» Ceux qui étaient aliénés, ceux qui me résistaient, je les ai libérés en offrant leurs cœurs à la terre mère. Quant aux célébrations, qu’as-tu à me reprocher ? J’ai demandé à mon peuple de danser, et il a dansé jusqu’à entrevoir tes anneaux, jusqu’à se laisser écraser par ton ventre. Ils en sourient encore. Je n’ai commis qu’une seule faute : celle d’aimer mon peuple au point de me rendre vulnérable. Et me voilà devant toi. Juge-moi, comme je t’en ai fait la requête il y a une éternité de cela. Juge-moi, toi qui sembles déjà me condamner pour mes omissions. »

Tu te tiens là, chose minuscule, âme sans couleur. Comment croire qu’un être aussi insignifiant a pu éradiquer presque tous les Hommes qui marchaient sur mes terres ? Si vile, si laide, plus noire que l’eau ténébreuse sur laquelle glisse mon corps.
Oui, c’est toi la première. Toi qui mèneras mes armées fantômes. Car les âmes de tout mon peuple ne me suffisent plus. Il m’en faut d’autres, encore et encore. Je dévorerai tous les empires, toutes les terres toutes les mers, tout l’univers. Renais, fille de jaguar, fille de serpent, la meilleure âme que j’ai créée. Renais dans des rivières de sang, et recommence ta moisson d’âme.
D’autres suivront.

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A propos de Mia-

Membre du Club depuis 2005, Magali participe au comité de lecture d'AOC et s'occupe activement des matchs d'écriture, qu'elle colporte dans plusieurs festivals dédiés à l'imaginaire. Accessoirement, redoutable mouche du coche professionnelle :)

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