Exercice 2 : scène d’action en personnage point de vue
Pour le deuxième exercice, Lionel nous demande de reprendre le même protagoniste et de rapidement lier les deux scènes en deux phrases explicatives avant la lecture.
Les instructions
La narration passe à la troisième personne en personnage point de vue (ce que j’ai fait lors du premier exercice). Nous devons écrire une scène d’action au choix. Pas forcément une baston. Cela peut être une fuite, une course poursuite, une bataille ou une scène de torture. En gros une scène d’action au sens général sans la contrainte de la bagarre.
Nous devons nous concentrer sur les variations de rythme. La scène doit être haletante. Nous avons une liberté de lieu. Le but est de gérer le rythme et sentir la différence par rapport au premier exercice en narration à la première personne. Encore une fois, il faut apporter une résolution à la scène. Mais du coup, pas forcément un vainqueur et un vaincu. Par contre, nous devons ajouter à la scène une péripétie, qui permettra de la relancer.
Nous avons encore une fois quarante-cinq minutes pour la rédiger.
Je ne perds donc pas de temps pour trouver quelque chose de super original. J’ai déjà mon perso, son univers. Je m’engouffre donc dans la scène de poursuite. Elle se passera sur une route, et la péripétie sera un accident ou une sortie de route. On verra bien comment ça se goupille en écrivant.
Le Texte
La Dodge Charger noire avalait le tapis d’asphalte défoncé, comme une vorace. Son rugissement de plaisir montait entre les allées de maïs, effrayant sur son passage des nuées de corbeaux. L’aiguille du compteur frétillait au-delà du trait des 90 miles. Lance Colsdsteel, le visage crispé, parvenait difficilement à maîtriser les saccades du volant. Surtout qu’il devait régulièrement essuyer son œil droit, qu’un écoulement de sang voilait d’un épais filtre rouge.
À cent – cent cinquante yards devant lui la Harley de Biff dégueulait une fumée anthracite. Elle slalomait entre les nids de poule, manquant à chaque embardée de projeter à terre le corps ligoté de sa passagère, jeté comme une vulgaire sacoche en travers de la croupe d’un mustang. Samantha…
Lance refusait de penser à l’éventualité de sa chute… D’autant plus, qu’à la vitesse où lui-même roulait, sa Dodge lui aurait passé dessus avant qu’il ait eu le temps d’écraser la pédale de frein. La vision du corps désarticulé de la stripteaseuse gisant milieu de cette route déserte, perdue au milieu des champs s’imposa à lui. Il la chassa d’un revers de la main sur son œil meurtri et réajusta sa prise sur le volant épileptique.
Biff avait réussi à le distancer en ville, en slalomant entre les voitures. Mais le privé, lâchant les chevaux de son american muscle sur l’Interstate, avait refait son retard. La question était, comment parviendrait-il à stopper le bolide à deux roues sans tuer Samantha… S’il avait pensé à ce détail plus tôt il aurait certainement abordé la poursuite de façon plus subtile. L’histoire de sa vie. Coldsteel était un homme d’action, réfléchir était un luxe.
Biff se retourna vers lui. Un reflet passa sur l’arme de poing qu’il serrait, répondant à son sourire dément. Il braqua le Desert Eagle dans la direction de la Dodge. L’impact de balle fissura la moitié du pare-brise, côté passager et y laissa un trou gros comme le poing. Ce salopard le dégommait avec son propre flingue… La voiture fit un écart et plongea droit sur le mur de maïs. De son côté la Harley Davidson, déséquilibrée par le recul monstrueux que le .45 modifié par Coldsteel avait infligé à son pilote, fit un droite-gauche violent qui projeta Biff et sa passagère à quelques centimètres au-dessus de la sellerie frangée. Ils retombèrent dessus par miracle.
Ce fut la dernière image que vit Lance avant de disparaître dans le champ de céréales. La sortie de route brutale avait terminé de faire voler le pare-brise en éclat. Des feuilles sèches et coupantes, des seaux de poussière et des brassées d’épis s’engouffraient dans l’habitacle. Au prix d’un effort de volonté surhumain, Coldsteel parvint à reprendre le contrôle de la voiture sans la laisser caler et à la remettre dans ce qu’il pensait être la bonne direction. Le V6 rugit tandis qu’il se frayait un chemin à travers les tiges jaunies. La moissonneuse batteuse de l’enfer.
— Putain de merde, Samantha, accroche-toi j’arrive ! hurla le privé.
Il braqua violemment sur la droite. Il devait rejoindre la route à tout prix. Si Biff le semait, il ne reverrait jamais sa belle. Ou alors, dans un sale état. Le gang de motards n’étant pas réputé pour sa galanterie, elle risquait de passer une soirée difficile.
La voiture escalada le petit talus à pleine vitesse. Celui-ci était surmonté à cet endroit d’une bordure d’environ trente centimètres de haut. En rencontrant le bord de l’Interstate, le pneu droit de la Dodge décolla. Le rideau de maïs qui obstruait le champ de vison de Lance, s’était ouvert d’un coup. Coldsteal vit par la fenêtre passager la Harley de Biff arrêtée au milieu de la route à une vingtaine de yards en arrière, puis ce fut le ciel bleu du Minnesota, puis l’asphalte chaud d’un après-midi d’été. La Dodge s’écrasa lourdement sur la route. Le crissement aigu de la tôle du toit contre le goudron emplit l’habitacle. Un essaim d’éclats verre déchira l’air tandis que plafond compressé percutait le crâne du privé. Le tombereau d’acier glissa quelques secondes sur la route. Il fit deux tours sur lui-même comme une toupie apathique et s’immobilisa les quatre fers en l’air en travers de la route…
Coldsteel parvint à s’extirper en rampant de ce qu’il restait de Mollie. Les manches de son blouson de cuir noir, incrustées d’éclats de verre, frottaient sur l’asphalte mou. Il se remit rapidement sur pied et chercha du regard Biff. Le motard s’excitait sur le kick de sa Harley. Le privé le toisa quelques secondes, profitant de cet intermède pour discrètement remettre en place ses quatrième et cinquième vertèbres. D’une main, Biff se tenait la carotide, peinant à retrouver son souffle. Il avait perdu de sa superbe. La moto ne semblait plus vouloir être chevauchée par ce pitoyable cavalier. Coldsteel comprit alors qu’il s’était pris le guidon chromé dans la pomme d’Adam lors de l’embardée. La douleur et la montée d’adrénaline qui suivirent l’avaient poussé à s’arrêter. D’autant plus que la voiture de son poursuivant n’étant plus en vue.
— C’est mal connaître la fiabilité de la mécanique américaine, se dit Coldsteel.
Il cracha deux bouts de verre et un grain de maïs puis se rua sur Biff. En quelques foulées, il était sur lui. Le motard ne put que contempler la charge de son adversaire. Il tenta bien d’extirper de la sacoche fixée à la suspension de sa roue avant une batte de baseball en métal, mais trop tard. Les mains de Coldsteel se refermèrent sur les revers de son cuir souillé de cambouis et d’une traction violente, elles l’arrachèrent à la selle de son cheval d’acier. Biff se laissa traîner jusqu’au milieu du ring d’asphalte, abreuvant le privé d’une logorrhée suppliante… Comme si sa soumission lui vaudrait la clémence. Coldsteel administra à la figure suppliante de ce gros porc, un coup de boule monumental. Il sentit les os du visage craquer en plusieurs endroits. Il le laissa ensuite glisser au sol. Biff se tortillait et ne semblait pas décider à la fermer. Une averse de mandales s’abattit alors sur la gueule meurtrie du motard. Quand il en eut fini avec lui, par sa couleur et ses rondeurs, celle-ci tenait plus de la figue gorgée de suc que d’autre chose.
— Le port du casque est obligatoire Ducon, lui souffla Coldsteel.
Lance se redressa. La peau meurtrie de ses poings le tiraillait. Samantha avait réussi à glisser du siège de la moto et à se mettre debout. Elle sautillait devant lui, les bras ligotés dans le dos. Les soubresauts de sa poitrine n’avaient rien perdu de leur superbe. Deux traits noirs de mascara bon marché lui barraient les joues. Lance s’avança vers elle, la saisit par les épaules l’embrassa comme jamais il n’avait embrassé une femme ; sans prendre le temps de lui retirer son bâillon.
Les commentaires
On va pas se mentir, j’ai passé un bon coup de polish sur cet extrait depuis l’atelier. De fait, la plupart des commentaires et corrections ont été intégrés, et j’ai rajouté ça et là quelques détails sympas.
« Faut justifier que Biff attende de se faire péter la gueule. »
En effet, dans le premier exercice Biff est un monstre de baston et Lance plutôt inexpérimenté. Je ne pouvais pas décemment négliger ce détail. Le coup de guidon dans la carotide était déjà dans la version de l’atelier, mais je ne faisais que le dire sans m’attarder dessus. J’ai donc repris la même explication, mais en l’enrobant un peu plus et en la faisant passer par le raisonnement de Coldsteel. Du coup, le détail reste le même, mais présenté au lecteur avec beaucoup plus de poids, comme une vérité incontestable. Elle ne l’est peut-être pas, mais vu comme elle est présentée, le lecteur ne se pose pas la question. Dites un mensonge avec suffisamment de force et de conviction, il passera pour la vérité, n’est-ce pas ?
« La spirale marche pas super bien. »
Dans la première version, quand la Dodge retrouve la route, la percute et s’envole, ça donnait ça :
En rencontrant le bord de l’Interstate, le pneu droit de la Dodge décolla. Le rideau de maïs qui obstruait le champ de vison de Lance Coldsteel, s’ouvrit d’un coup. Il vit la Harley de Biff arrêtée au milieu de la route à une vingtaine de yards en arrière, puis le ciel bleu du Minnesota, puis l’asphalte chaud d’un après-midi d’été. Le crissement aigu de la tôle du toit contre le goudron emplit l’habitacle tandis qu’un essaim d’éclats de verre sillonnait l’air. Le tombereau d’acier glissa quelques secondes sur la route. Il fit encore deux tours sur lui-même comme une toupie apathique, avant de s’immobiliser.
En effet, dans cette version, l’action n’est pas claire. Le lecteur a du mal à visualiser ce que je cherche à lui faire passer. C’est le problème quand on doit décrire quelque chose qui sort de l’ordinaire et qu’on n’a pas trop le temps de le faire. On jette un peu les mots. L’auteur a lui dans l’esprit l’image. Le lecteur n’a lui que les mots de l’auteur…
« Le texte marche bien, action OK. Ton fort, perso qui porte le ton. C’est le personnage qui tient le tout. »
Yeah merci ! On en revient à l’idée du personnage fort dont découle le ton de la scène. Toutes les scènes d’action ne sont pas à écrire de cette façon. Il y a plein d’autres façons. Mais quand elles le sont, non seulement ça marche, mais ça cartonne.
« Sur le décor, champ de maïs plus tôt. »
La première référence au champ de maïs n’arrivait que quelques lignes avant que Coldsteel ne s’engouffre dedans. C’est beaucoup trop tard. En faisant cela, je matérialise un champ de maïs et immédiatement après il sert l’action. Déjà ça perturbe le lecteur qui a lui vécu le début de la scène dans un autre décor. Ensuite ça fait un peu artificiel : je pose le champ au dernier moment et hop la voiture s’engouffre dedans. Petite escroquerie, manque de maîtrise, ou fainéantise de la part de l’auteur se dit le lecteur
« Revoir le pare-brise qui explose. »
Dans la première version, l’impact de la balle du Desert Eagle faisait « sauter la moitié du pare-brise coté passager ». Ce n’est pas de cette façon qu’un pare-brise rend l’âme. Soit il se fendille, soit il tombe complètement, soit l’impact fait un trou. Mais il ne perd pas comme cela une moitié de sa structure.
Il reste selon moi une chose qui ne va pas dans la scène. Ça ne m’a pas été remonté dans les commentaires et je ne l’ai pas corrigé dans le texte. Je ne sais pas si ça vous a gêné, ou si vous vous en êtes rendu compte, mais que devient le Desert Eagle ? Pourquoi Biff ne l’a-t-il plus en main ? C’est très simple, Biff l’a lâché quand il a dû rattraper la moto à deux mains. Mais je dois le dire, je pense. À la limite on pourrait se dire que c’est une sorte de détail implicite. Mais le gun de Coldsteel est un personnage-objet du récit. Il mérite qu’on s’attarde sur son sort
À bientôt pour la suite.
Merci à Lise Capitan pour la relecture et les corrections de cet article.