Amateurs exclusifs d’actions trépidantes et/ou de visions horrifiques s’abstenir. Mélanie Fazi joue dans un tout autre registre. Car, malgré le titre, il s’agit bien de musique. Celle des mots, dans laquelle l’auteur excelle : tous ses récits sont aussi des poèmes, sans que cela nuise le moins du monde à l’intensité narrative et dramatique. Celle qui très évidemment nourrit l’écrivain tout autant que ses personnages. Qui donne vie à des pantins, réconcilie une femme avec son passé, s’associe pour une future mère à un souvenir de Noël, permet à une veuve de valser avec les morts.
Comme dans une portée, des silences alternent avec ces notes de musique. Le chant de sirène qui attire des automobilistes fatigués dans le rêve ou plutôt le cauchemar de la route les ensable et les pétrifie. La Voix d’une vallée donnée à une Élue la condamne au mutisme dès lors qu’elle prétend quitter sa terre natale. Mais si le Jardin qui donne son titre au recueil s’ouvre pour Séverine, ce n’est pas pour la condamner au silence, bien au contraire. C’est pour l’en guérir.
Mélanie Fazi s’inscrit dans la tradition fantastique d’Andersen, « dont les contes, avoue-t-elle en préface, sont de vieux compagnons de route, » empruntant même au maître quelques-uns de ses thèmes et de ses personnages, comme le petit Elfe Ferme-l’œil ou la robe d’orties qui doit rendre figure humaine à un cygne. Comme lui, elle reste le plus souvent dans le monde quotidien. Où parfois objets et personnages se font messagers ou vecteurs d’un au-delà pas toujours métaphysique : c’est du passé de Séverine que son jardin mystérieux exhume un bonnet de laine, des anneaux, et un revolver. Un grand classique : le miroir qui prend au piège une femme un jour de givre (souvenir de la Reine des Neiges ?), mais on ne s’attend pas à ce que des décorations de Noël pour un sapin soient apportées par des corneilles comme souvenirs des Noëls d’antan, encore moins à ce qu’elles ornent les arbres des morts pour un étrange rituel. Mais après tout, quiconque a, comme Mélanie Fazi, comme Joan D. Vinge, sans doute, adoré Andersen ou Dickens se doit d’aimer Noël, quitte à chercher en vain son esprit dans la vie ordinaire.
Pour le décor, les personnages, les relations, nous ne quittons pas notre monde. Il est question d’amour et de mort, de souvenirs, de familles, enfants, parents, grands-parents ou tantes, frères, sœurs, de couples, de solitude. Seulement, il y a une autre réalité, une « autre route », séparée de celle-ci par un « voile » qui parfois se déchire ou cède à la pression et permet une éphémère communication entre les deux mondes. Plus proches encore, des créatures éthérées se confondent avec les murs de nos maisons avant de susciter nos rêves. Seule exception : Les sœurs de la Tarasque. Ici, la familiarité avec le fantastique se décline autrement. Nous sommes dans un pensionnat très particulier, où se choisit parmi les jeunes filles l’épouse du Dragon. Mais les problèmes sont ceux d’adolescents et d’enfants d’aujourd’hui : rapports à l’autorité, angoisse pour l’avenir, amours de jeunesse, révolte, bouleversement hormonal. On pourrait à la limite y ajouter le Dragon caché pour son décor très lovecraftien (domaine ancestral, terre exsudant une ancienne malédiction) et son personnage de mutant.
Par contre, si Mélanie Fazi écrit dans le même esprit qu’Andersen, c’est avec une sensibilité et des mots d’aujourd’hui : phrases courtes, parfois nominales, récit le plus souvent au présent et à la première personne. De l’émotion sans pathos. Rien de mièvre ni de pleurnichard dans ces textes. Même quand les personnages ont un vécu plus que chargé de souffrances [?]. Ni spectaculaire, ni gratuite, la violence est d’autant plus fortement ressentie que l’auteur ne perd jamais le contact avec le corps, qu’il s’agisse d’un avortement forcé, des sévices d’un compagnon maltraitant, ou d’un réveil nauséeux après une dispute violente et peut-être meurtrière.
Pas de message explicite, encore moins de propagande, mais l’amour profond de la vie, associée dans la sphère humaine à la chaleur, aux couleurs, à la création, qu’elle soit musicale, manuelle, ou littéraire. Associée dans le monde naturel à la terre, d’où jaillit la vie, qui donne sa force et sa sagesse à un enfant, rend à une femme blessée ses souvenirs, ses morts… ou son dragon. Et bien sûr, associée aux animaux, dont l’apparition mystérieuse garantit qu’une musique a été menée jusqu’à son point de perfection. On se plaît à imaginer que ces derniers sont apparus à l’auteur, une fois la dernière ligne écrite.
Nous en pensons ...
Notre avis
4.5
Par contre, si Mélanie Fazi écrit dans le même esprit qu’Andersen, c’est avec une sensibilité et des mots d’aujourd’hui : phrases courtes, parfois nominales, récit le plus souvent au présent et à la première personne. De l’émotion sans pathos. Rien de mièvre ni de pleurnichard dans ces textes.