Votes pour le match d’écriture de Meyzieu 2015 : « Qui a appuyé sur le bouton rouge ? »

« QUI A APPUYÉ SUR LE BOUTON ROUGE ? »

Voici le second thème sorti pour le match d’écriture organisé à Meyzieu.

Bon vote ! Et n’oubliez pas, on ne vote qu’une fois 🙂

  • Lilo
  • D’où vient notre peur instinctive des boutons rouges
  • Un sale gosse
  • La pesée

LILO

Lilo regarda son reflet dans le bassin de la cour du château. Incrédule, elle lâcha le mécanisme qu’elle tenait et porta les mains à son visage, à son nez, à ses cheveux. A sa barbe, aussi. Et à d’autres endroits qui n’étaient plus tout à fait les mêmes.

« Comment… balbutia-t-elle. Qu’est-ce que j’ai… Al, tu… »

Mais lorsqu’elle tourna la tête vers son ami, elle ne rencontra que le vide. Elle était seule et tout allait de travers. Les premiers cris commencèrent à résonner tout autour d’elle, pas tous humains. Elle observa les alentours, hébétée : de l’autre côté du bassin, une chèvre en pourpoint lui rendit son regard surpris ; un peu plus loin, une jeune fille à la longue chevelure dorée se mit à rire et à danser ; sur les remparts, une horloge sonna soudain les douze coups de midi, faisant sursauter le gnome, la poule et le bambin qui l’entouraient ; et d’autres scènes encore, plus absurdes et impossibles les unes que les autres, qu’elle ne pouvait pas voir mais qu’elle entendait très bien.

Ah pour sûr, l’alchimiste ne s’était pas moqué d’elle lorsqu’il lui avait vendu sa camelote de machine : elle avait bel et bien changé, et elle avait entraîné avec elle toute la population du château, peut-être même de la ville pour ce qu’elle en savait. Des poules à la place des gardes, des vieilles dames qui retrouvent jeunesse, des seigneurs caprins… Son ami avait disparu, aussi. Et elle était devenue un homme.

« Al… » murmura-t-elle dans un hoquet. Elle sentait les larmes lui monter aux yeux. Tout était de sa faute, c’était à cause d’elle si tout avait si mal tourné et si Aldwin…

« Je suis là, bécasse. Arrête de bégayer et pose ta question. Je commence à plus sentir mes jambes. D’ailleurs, pourquoi le bassin est devenu aussi grand ? Je te vois plus ! »

Lilo baissa les yeux à l’endroit où aurait dû se trouver Aldwin. A la place se trouvait par terre un parchemin à moitié déroulé révélant des écritures mouchetées qu’elle n’arrivait pas à relire. Et qui ressemblaient drôlement, maintenant qu’elle y pensait, à des sourcils froncés. Ça lui donnait un air perplexe un peu comique. Lilo ne put s’empêcher de rire nerveusement.

« Quoi, qu’est-ce qu’y a ? J’ai un truc sur le nez ?

– Al, je crois qu’on va avoir un problème, annonça Lilo lorsqu’elle eut retrouvé un semblant de sérieux. Tu t’es transformé en parchemin magique.

– Raconte pas n’importe quoi. Toi, par contre, tu as la voix plus grave qu’avant. Ça a fonctionné ?

– En quelque sorte… Mais pas vraiment comme on l’espérait. J’espère vraiment que ce n’est pas définitif. »

Aldwin devait sentir à son ton qu’elle était soucieuse, car il ne fit aucun commentaire. Il y eut un silence un peu gênant qui s’éternisa quelques secondes.

« Je n’arrive pas à bouger, annonça-t-il tout à trac.

– Je viens de te le dire : tu es un parchemin. »

Nouveau silence. Les cris continuaient à s’élever, plus lointain cette fois.

« C’est si grave que ça, hein ? demanda-t-il.

– J’en ai peur. Qu’est-ce qu’on fait ?

– A ton avis ? On s’arrache. Combien de temps avant que les gens commencent à se poser des questions ? »

Lilo n’en avait aucune idée. De l’autre côté du bassin, la chèvre écoutait attentivement leur conversation. Elle baissa les yeux, vit le petit dispositif qui gisait aux pieds de Lilo, regarda Lilo et se mit à bêler comme une cloche d’église. Interloqués, les autres… créatures qui se trouvaient dans la cour tournèrent la tête vers eux.

« Allez, on se tire ! chuchota Aldwin. Non ! M’attrape pas avec les mains. On sait jamais ce qui pourrait se passer si tu me touches. Il y a des parchemins magiques connus pour exploser au moindre contact avec la peau et je n’ai pas très envie de finir comme ça. »

Lilo enroula précautionneusement son ami dans son écharpe et se dirigea d’un pas pressé vers la ville. Elle venait d’atteindre la porte des remparts lorsqu’elle entendit la voix stridente du gnome derrière.

« Qui a appuyé sur ce putain de bouton rouge ? »

Elle courut.

Elle courut longtemps, fonçant à toute vitesse à travers des rues qu’elle connaissait par cœur. Elle courut plus vite que jamais, grâce à des jambes plus longues, plus puissantes. Elle était moins agile qu’avant, mais ce qu’elle avait perdu en vivacité, elle l’avait gagné en force. Ceux qui ne s’écartaient pas assez vite, elle les poussait de son chemin avec une brutalité mal maîtrisée. Elle croisa des gens étranges, des animaux qui n’avaient rien à faire là et même un tigre, une fois, au détour d’une impasse. Finalement, elle se hissa sur les toits d’une main experte, mettant à profit sa vigueur nouvelle pour accélérer la cadence, puis elle fila comme une flèche de cheminée en cheminée. Elle voulait être sûr de semer ses poursuivants et elle ne connaissait pas de meilleure méthode.

Elle atterrit un peu plus tard dans une place tranquille où elle put reprendre un peu son souffle. Il n’y avait personne alentours, à part quelques mouettes qui se battait pour le privilège de se poser sur un tabouret en marbre ouvragé. Elle sortit Aldwin de sa cachette, qui affichait un air un peu malade.

« C’est pire que la mer… se contenta-t-il de dire.

– Ce n’est pas le moment, Al. Il faut qu’on réfléchisse sérieusement à ce qu’on fait.

– Oui, oui, laisse-moi deux minutes, tu veux ? »

Lilo grommela, mais elle n’insista pas. A la place, elle réfléchit dans son coin. Bien sûr, ils pouvaient essayer de retrouver l’alchimiste, mais elle doutait qu’il soit encore dans les parages. A sa place, si elle avait vendu ce genre de camelote à quelqu’un, elle aurait profité de la pagaille pour… hé bien, faire exactement ce qu’elle s’apprêtait à faire avant tout ce bourbier, à savoir cambrioler la famille royale avant de partir prendre sa retraite loin d’ici. Ils ne pouvaient pas non plus se permettre de rester comme ça à tout jamais, d’une part parce que tout le château – et bientôt toute la ville – allait reconnaître son visage, et d’autre part parce qu’elle s’en voulait pour Aldwin. Elle devait lui rendre son apparence, sans quoi elle ne pourrait plus jamais le toucher. Ce n’était pas négociable.

« On pourrait rendre visite à Tomas, proposa Aldwin qui devait avoir eu le même genre de pensée. Il a l’habitude de ce genre de connerie magique, il devrait pouvoir faire quelque chose.

– Alchimique. La magie, c’est rarement autant le bordel, quand même.

– Peu importe. Tu as une meilleure idée ? »

Lilo n’en avait pas. Ils reprirent la route quelques minutes alors que les cris commençaient à se rapprocher – et il y avait plus de colère que de panique dans les voix, cette fois.

Ils trouvèrent la porte de Tomas facilement : elle était bien cachée, entre deux bouibouis insalubres, mais ils avaient l’habitude d’aller rendre visite au bonhomme. C’était un vieillard un peu excentrique, avec ses lunettes sur le nez et sa longue barbe blanche. Lilo ne comprenait pas, maintenant qu’elle en portait une, pourquoi les hommes s’entêtaient à porter ce genre de machin : ça grattait horriblement à la moindre goutte de transpiration, et en plus, ça tenait beaucoup trop chaud.

Elle frappa trois fois le heurtoir contre la porte et attendit, désespérée. Après tout, la malédiction l’avait probablement touché, lui aussi. Avec la chance qu’ils avaient depuis le début de la journée, Tomas s’était probablement changé en statue ou en rat. Mais il n’en était rien : la porte s’ouvrit à grand coup de grincements. Dans son soulagement, Lilo se jeta au cou du vieil homme.

« Hé bien, hé bien, quelle effusion de joie, lui dit une voix féminine. Qui êtes-vous, beau jeune homme ? »

Lilo se recula vivement pour examiner son interlocutrice : une grande femme à la peau sombre et fort jolie l’observait d’un air malicieux. Cette vision la mit dans une situation qu’elle n’imaginait pas aussi inconfortable. Elle rougit.

« Excusez-moi. Je suis Lilo. Est-ce que…

– Ah, répondit la femme avec un sourire bienveillant. J’aurais dû me douter que c’était un coup de votre part. Aldwin et toi n’êtes jamais les derniers à vous mettre dans le pétrin, n’est-ce pas ? Oui, je suis bien Tomas. Entrez, nous allons pouvoir régler tout ça. Quoique je suis certain que nous pourrions apprendre à apprécier ces nouvelles vies… » ajouta-t-elle en lorgnant Lilo.

Celle-ci rougit de plus belle. Elle avait du mal à se rappeler qu’elle avait à faire à un vieil homme.

« Tiens, je pensais qu’Aldwin serait avec toi ?

– Oh ! Pardon. »

Elle déroula Aldwin de son écharpe et le posa sur la table. Tomas sourit de plus belle.

« Eh bien voilà, la solution n’est jamais loin du problème. Ce sera régler dans quelques minutes.

– Vraiment ? dirent les deux voleurs en chœur.

– Oh oui ! Aldwin, tu es un parchemin de dissipation. »

Il y avait quelque chose de soulageant – et d’un peu rageant – dans cette affirmation. Ils auraient pu s’en sortir dès le début, si seulement ils avaient su.

« Bien, bien. Et qu’avons-nous appris de cette mésaventure ? » demanda-t-il en déroulant le parchemin.

C’était un des problèmes de Tomas : il avait tendance à toujours faire la leçon lorsqu’ils venaient le voir. Une sale habitude de vieux grand-père, supposait Lilo, qui ne suffisait pas à effacer toutes ses autres qualités. Elle réfléchit un instant.

« Que l’alchimie n’apporte que des problèmes ?

– Ah, oui, il y a sans doute une part de vérité là-dedans. Je pensais plus à « vouloir changer le monde et se changer soi-même ne peut se faire correctement qu’à la force de ses bras, » cela dit. »

Il sourit chaleureusement comme il savait si bien le faire, puis il lut les inscriptions qui couvraient le parchemin. Avant longtemps, toute la ville retrouva son état normal, et on entendit un peu partout des soupirs de soulagements fuser à travers la ville. Tout était rentré dans l’ordre.

Lorsqu’elle y repensa quelques jours plus tard, pourtant, Lilo s’aperçut qu’être un homme lui manquait un peu. Elle avait effleuré tout un champ de nouvelles sensations qu’elle aurait bien aimé explorer un peu plus avant. Elle comprenait mieux certaines choses, lisaient mieux dans la timidité des autres garçons et se surprenaient de temps en temps à admirer la joliesse des filles qu’elle croisait.

Peut-être qu’elle avait appris plus qu’elle ne le pensait de toute cette histoire.

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Membre du Club depuis 2005, Magali participe au comité de lecture d'AOC et s'occupe activement des matchs d'écriture, qu'elle colporte dans plusieurs festivals dédiés à l'imaginaire. Accessoirement, redoutable mouche du coche professionnelle :)

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