Votes pour le match d’écriture des Utopiales 2019 : « L’ennemi est bête : il croit qu’il descend d’homo sapiens, alors que c’est nous »

On me souffle dans l’oreillette que c’est du Desproges dans le texte. Non pas le texte là, que c’est inspiré de Desproges je veux dire. Non je ne dis pas que c’est Desproges qui écrit des textes m’enfin. Enfin si, il écrit des textes, mais pas pour nous. Si, il pourrait. Non, il n’est plus là, mais il aurait pu. Sur le principe. Bon vous m’aurez compris. Je ne me lance plus dans une histoire d’oreillette moi… (un petit oreiller ? Tard…)

  • Horreur boréale
  • Dernière heure
  • Le Voyageur
  • Ainsi chantent les trompettes des morts
  • Enfin un rêve possible de paix
  • Crève mon amour
Contrainte 1
Un vampire des glaces
Contrainte 2 Une erreur d’interprétation

HORREUR BORÉALE

Dans la salle principale de l’hôtel de ville de Drangsnes, dans la municipalité de Kaldrananeshreppur, l’atmosphère est tendue. Les habitants se lancent des regards inquiets et personne n’ose briser le silence. Des toussotements et des chaises qui grincent pour seul habillage sonore.

Au dehors, la neige macule l’horizon, invisibilisant presque de son uniformité les montagnes pourtant toutes proches. La vieille porte d’entrée en bois répercute le son des coups qu’on lui porte. Elle s’ouvre lentement et dévoile un individu massif, aux yeux rouges comme le sang et à la chevelure or et brune. Il fait résonner sa voix.

— Peuple humain, je suis ici en émissaire. Je viens porter la parole de mon peuple, menacé par votre faute. Je viens, pour l’heure, en paix.

Ce préambule énoncé, il continue son avancée dans les allées, jusqu’à atteindre la tribune. Il ne porte guère de vêtements, ce qui laisse apparaître entre deux lianes de cheveux tressés son corps musculeux. Il est émaillé de sigils, gravés dans sa chair, ce que personne ne manque de remarquer et qui inquiète, tout autant que rassure, l’assemblée.

— Je viens de la montagne pour vous faire part de notre existence, et de nos revendications. Mais avant cela, et pour vous permettre de mieux assimiler ce que j’ai à vous dire, je vais prendre le temps de vous donner quelques éléments de compréhension.

Des chuchotements éclatent dans les quatre coins de la pièce.

— Nous sommes les premiers. Nous étions là avant vous.

Le scepticisme est grand. Certains villageois se demandent si tout ceci n’est pas un vaste canular. Un douteux remake de la lecture de La guerre des mondes sur les ondes.

— Dans votre musée national, vous conservez un « pantalon en peau humaine », recouvert de sigils. Vos anciens lui prêtaient des pouvoirs d’immortalité. Ils n’avaient pas tout-à-fait tort. Pour vos faibles corps, ce pantalon équivaut à un bouclier. Ces jambes sont celles d’un des premiers habitants de l’île. Un de mes aînés, dont nous avons dû nous débarrasser pour des raisons qui nous sont propres. Vos anciens n’ont fait que trouver les restes de son corps et récupérer la peau pour la doter de la légende que vous lui connaissez.

La maire hésite à intervenir, mais terrifiée, ne parvient pas à ouvrir assez grand sa bouche. L’étrange créature bipède le remarque, alors qu’elle est supposément hors de son champ de vision, et répond à son interrogation.

— Le reste de son corps a été dévoré par divers animaux qui, métamorphosés par conséquent, constituent l’essentiel de vos bestiaires folkloriques. Nous en avons apprivoisé certains pour nous tenir compagnie. Nous laissons les autres errer dans les montagnes ou les mers.

Alors qu’il s’exprime, et au gré des phonèmes produits, apparaissent à la vue des premiers rangs ses longues canines grises comme le fer.

— Nous vous connaissons sur le bout des doigts, alors que vous nous découvrez tout juste, depuis que je vous ai demandé audience il y a quelques heures. Je vais vous faire une dernière révélation qui, à n’en pas douter, achèvera de vous torturer.

Les citoyens se cramponnent à leurs sièges. Celles et ceux restés debout cherche un point d’appui, n’ayant pas besoin d’être plus persuadé pour croire celui que l’on nomme déjà dans les travées le « vampire des glaces ».

— Vous n’êtes pas les habitants naturels de cette terre. Votre généalogie n’est pas la bonne. Homo sapiens était l’un des nôtres. Vous êtes une erreur de parcours, une aberration qui a prospéré. Vos savants se sont trompés en interprétant les données qui étaient les leurs. Et leurs successeurs n’ont guère relevés la faute. À leur décharge, vous ignoriez scientifiquement notre existence. Je veux dire, vous n’avez jamais pu nous étudier. Vous êtes des bâtards, des dégénérés. Vous êtes pour nous ce que les bêtes sont à vos yeux.

Malgré le froid intense au dehors, l’on ouvre les fenêtres pour limiter les évanouissements. Des têtes tournent. D’autres vomissent.

— Nous aurions pu vous anéantir – certains de nous l’ont souhaité – mais nous ne l’avons pas fait. Le monde est vaste, et les conditions que vous qualifiez « d’extrêmes » nous siéent tout à fait. Aussi avons-nous opté pour le retrait. Le problème étant que nous n’avons pas su percevoir assez bien votre bestialité. Qui couplée à votre naïveté génère des catastrophes hallucinantes.

Une femme quitte alors la bâtisse, l’œil torve.

— Si je me présente à vous aujourd’hui, c’est pour vous faire une offre. Elle ne sera guère négociable. Par la faute de vos activités, notre espace vital se rétrécit. Les humains se moquent des ours polaires et des phoques – charmantes créatures au demeurant. Se moqueront-ils de nous ?

Il tape de son index le pupitre qui se broie instantanément, ployant sous la poussée surpuissante de celui-ci.

La femme revient avec des bouteilles d’alcool forts, les mâchoires serrées, et les fait circuler dans l’assistance pour aider à encaisser.

— Si je me présente à vous aujourd’hui, c’est parce que vous nous apparaissez comme plus propices à accéder à nos requêtes. Aussi ai-je donc été désigné, vivant ici depuis des temps profonds, pour parlementer avec vous. La fonte des glaces nous oblige à envisager une migration. Et une sortie de nos grottes et cavernes. Votre île nous semble une bonne première étape. Nous comptons y installer notre camp de base. Non pas pour conquérir le monde. Mais pour entamer notre revendication à être intégré dans vos sociétés.

La circonspection est totale. Un adolescent lève la main pour demander la parole, sous les yeux écarquillés de ses parents.

— Parle, jeune créature.

— Vous nous demandez de nous allier à vous pour sauver le monde du réchauffement climatique ?

Le « vampire des glaces » sourit et approche son imposante stature du jeune homme faisant s’écarter la foule sur son passage comme la charge négative d’un aimant. Il s’accroupit pour être à la hauteur de son interlocuteur.

— Je vous le déconseille, lance-t-il sèchement.

Les villageois se regardent, commençant à paniquer de leur incompréhension. Un seul, transpirant d’effroi, a saisi la balle au bond et le conseil salutaire qui vient de lui être adressé. Il refourre discrètement son poignard dans son étui, comme si de rien n’était. La créature nue reprend alors un ton moins agressif.

— Tu peux le résumer ainsi, si tu le souhaites.

Ragaillardi par l’esprit circulant, un large barbu s’invite dans la discussion.

— Pourquoi n’intervenez-vous que maintenant en ce cas ?

— Et voici que s’entame le cortège des reproches ! Nous œuvrons dans l’ombre, nous n’aimons guère la lumière. Et nous avons aussi nos assemblées et nos règles. Une grande guerre nous opposa entre hostiles à vous et partisans de la discrétion. Sarmi Zegetusa, l’autoproclamé vampire primordial, menait les hostiles. Il s’était pris au jeu des vôtres et adorait le nom de vampire, plus encore qu’oupir. Il s’était fait sien votre vocabulaire translinguistique et le portait en étendard. Fièrement. Jusqu’à ce que l’on décide de lui mettre un terme…

— Je me moque pas mal de vos histoires ! En tout cas pour le moment. C’est la suite qui m’intéresse.

— Bien. Vous avez déjà entendu la suite. Nous allons venir cohabiter avec vous. Avant de partir transmettre les nouvelles, je dois vous confesser une chose. Si vous ne respectez pas nos demandes, nous vous tuerons, sans exceptions. Nous instaurerons un code à respecter.

— Vous voulez nous faire prisonniers dans notre propre village ?

— Vous pouvez le voir ainsi, ou bien simplement accepter de ne pas communiquer notre présence dans les prochains mois, le temps que nous nous organisions. Ce qui présenté ainsi est fortement plus acceptable.

Une fois sa phrase achevée, il balaie du regard la salle et se dirige vers la sortie, laissée grande ouverte par la femme, en guise de précaution.

L’adolescent rattrape le géant et le saisit par le bras.

— Comment vous vous appelez ?

— Ah ! Jamais une gorge humaine ne saurait fomenter pareils sons. Appelez-moi Credo.

Une silhouette voûtée crache à terre et morigène.

— Voilà qu’il se prend pour Dieu le Père à présent !

*

Gylfi, le jeune homme, ne quitte plus Credo depuis la réunion de la veille. Assis sur une grosse pierre à l’entrée nord du village, ils devisent.

— Vous êtes télépathes ?

— Pas exactement, mais nous percevons des choses. Les sentiments notamment ont des textures particulières et uniques dans nos bouches. Avec le temps nous apprenons à décoder ces saveurs pour mieux interpréter les êtres vivants. C’est un long et fastidieux apprentissage mais qui, mené à terme, permet d’atteindre une forme de liberté unique.

— J’aimerais tellement être comme vous…

— Je le sais. Plutôt je le sens. Et non, je ne peux pas te mordre pour t’amener à ma condition. Tu resteras toujours un humain.

— C’est trop nul.

— Mais tu peux marcher à nos côtés pour changer la face du monde. Ce n’est pas si mal comme destinée !

Ils rient tous deux de bon cœur. Depuis leur fenêtre, les parents de Gylfi se rongent les sangs harcelés par d’atroces images défilant dans leur crâne, allant de l’écartèlement au viol bestial.

— Et comment vous communiquez entre vous alors ?

— Il y a plusieurs moyens. L’aurore boréale est le plus pratique et efficace. D’une certaine manière, le ciel est moins pollué par votre présence.

*

Le village s’acclimate à cette nouvelle situation. Les sous-sols sont envahis de créatures horrifiantes pour les adultes mais que les enfants tolèrent mieux. Les monstres sont désormais effectivement sous les lits. Face à cette situation historique, tout le monde semble avoir choisi de prendre le train de la gravité et se conformer aux exigences – relativement moindres à les regarder froidement – des nouveaux hôtes du village.

Des réunions politiques rythment les nuits et les villageois sont invités à venir participer à ces comités stratégiques. On y cause campagne électorale, communiqués de presse et présence sur les réseaux sociaux. Les anciens affinent les connaissances politiques humaines des « vampires », tandis que les jeunes leur montrent les subtilités du codage informatique pour exister numériquement. Fait indispensable en vue de conquête des urnes.

Une question centrale émerge assez vite : il faudra trouver un nom pour leur race. Et revoir le mépris à la baisse – au moins dans les temps de communication.

Les échanges vont bon train entre les créatures présentes et celles encore en cours d’arrivée.

Un beau matin un pick-up arrive dans le village. Des touristes continentaux viennent chasser l’aurore boréale…

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One comment

  1. Bravo pour ces 6 récits, tous très différents.

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