Votes pour le match d’écriture Utopiales 2024 – « Ma progéniture veut m’éliminer »

Les conflits entre une génération et la suivante, c’est un thème récurrent de l’humanité. Les uns disent que c’était mieux avant, tandis que les autres traitent les uns de vieux c… schnocks dépassés par le monde nouveau. Mais la plupart du temps, le conflit reste mesuré. 

Toutefois, que se passee-t-il en cas d’escalade ? Et si la jeune génération prenait des mesures radicales? 

Faites des enfants, qu’ils disaient… 


  • Faim de famille
  • Pour le meilleur
  • Laissez-nous respirer !
  • Sang bleu
  • La lumière d’une belle aube de glace
  • Ma progéniture veut m’éliminer
  • Intergénérationnel

Faim de famille

L’immense champ d’astéroïdes visibles par la baie vitrée semblait courir au ralenti sur une piste d’athlétisme multicolore. Des rubans de lumières jaunes, rouges, bleues, vertes, roses, se tortillaient dans le noir de l’espace comme une magnifique aurore boréale.
Cela faisait des centaines d’années qu’Asger n’avait pas vu de réelle aurore boréale. Sa Norvège natale lui manquait, ainsi que ses paysages enneigés l’hiver.

Une enfant en bas âge heurta ses jambes et Asger le chassa d’un geste brusque. Il avait été patient envers sa descendance au début, mais les ans s’accumulant, il avait appris à y être insensible, à l’image de certains animaux qui n’hésitaient pas à dévorer leurs petits pour survivre. Ou juste pour s’amuser.

La vieillesse avait lentement grignoté sa capacité à l’empathie, et la nostalgie, associée à la solitude et l’exil, lui avaient peu à peu fait perdre ses caractéristiques humaines. Et une grande partie de son ouïe, ce qui l’empêchait d’entendre les gémissements et les plaintes des membres de la famille autour de lui, qui se gavaient de liquide pseudo-nutritif, affalés dans des sofa en mousse gélatineuse. Ce n’était pas comme s’ils comptaient, simplement il avait besoin d’eux pour vivre. Ou le contraire.

Il ne se souvenait plus du sentiment qui l’avait poussé à partir.
Il savait qu’Åsta était celle qui voulait à tout prix partir, trop à l’étroit sur cette petite planète qui ne savait pas reconnaître la femme qu’elle était à sa juste valeur.
Elle était responsable de leur départ, puisqu’à l’époque il l’aurait suivi n’importe où, il en était fou amoureux, mais aujourd’hui il ne se rappelait même plus de ce que cela faisait. Il se souvenait pourtant de tout, de son visage, de sa voix, mais rien qui évoqua en lui davantage qu’une lassitude qui l’imprégnait jusque dans ses coracoïdes inutiles – puisqu’il n’avait plus aucune raison de voler. C’était son rêve à elle, pas le sien, mais il avait accepté tout ce qu’elle lui avait donné, parce qu’il l’aimait.

Sans préambule, la petite Nanna lui mordit sauvagement le gros orteil, et il la repoussa à nouveau, avec une pointe d’agacement. Les cornes de la gamine frémirent mais elle s’écarta finalement, laissant son aïeul à sa contemplation stellaire.
Les autres, petits et grands, les regardèrent d’un œil vitreux, surpris par tant de délicatesse. Nanna n’était pas connue pour sa gentillesse. Ni son intelligence, et il en fallait pour ne pas contrarier grand-père Asger.

Elle courut à quatre pattes se réfugier dans un tube dans le mur, qui menait à une autre pièce du vaisseau où nageaient plusieurs de ses cousins dans du liquide amniotique bleuté. Certains la saluèrent en agitant leur moignon de bras, mais elle ne leur prêta aucune attention. Elle se dirigea vers la salle de repos où se nettoyait sa mère.
La machine qui lavait le corps inerte sur la table d’inox se figea en détectant la présence de l’enfant. Elle écarta ses bras mécanique afin que Nanna puisse grimper sur la table et chuchota à l’oreille de la génitrice le goût du sang de papy sur sa langue.

Papy Asger quant à lui, avait enfin quitté la baie vitrée pour se diriger vers les cuisines, dans l’espoir de pouvoir manger quelque chose de frais. La vue de Nanna lui avait donné envie d’un cuissot de chèvre de la planète Fafnir B64.

Les moteurs faisaient vibrer le sol sous ses pieds nus. Il aurait dû faire installer de la moquette. Peut-être qu’un tapis pourrait atténuer la sensation ?
Il ne remarqua pas le sang qui gouttait sur le sol métallique et froid. Ça n’avait pas d’importance à ses yeux de toute façon, focalisé qu’il était sur sa survie – la nourriture. Le besoin faisait un gargouillis de tuyauterie dans ses intestins, y dévoilant un désir affreux mais solide de chair, n’importe laquelle, y compris la sienne.
Le garde-manger était une créature gigantesque qui était probablement son arrière-arrière-arrière petit-fils – quelque chose comme ça. Il suffisait d’ouvrir la trappe creusée dans son estomac en évitant de déranger les multiples fils d’anesthésiants, pour dénicher des produits frais parfaitement conservés.
Åsta avait conçu le procédé, mais ne l’avait jamais mis en œuvre car elle l’avait considéré comme trop barbare. Autrefois, Asger avait été d’accord avec elle.
Ce n’était plus le cas aujourd’hui. Il s’en moquait.

Il se fichait de tout ce qui pouvait arriver, du moment qu’il y survivait. Il n’avait pas traversé les siècles sans faire preuve de raisonnement.
Il savait que ce n’était qu’une question de temps avant que quelqu’un ne l’empêche de continuer à vivre, et dans cet environnement soigneusement contrôlé par ses soins, il ne pouvait s’agir que d’un membre de la famille. C’était le but de cette prison après tout.
La chasse au traître. C’était encore la seule chose qui le stimulait encore un peu.

Dans la salle de repos, la mère avala le dernier cousin qui vrombit misérablement avant de disparaître dans sa bouche.
Nanna sourit d’un air satisfait et sa daronne lui tapota le crâne comme on le ferait à un robot – ça ne sonnait pas creux pourtant. Le crâne de Nanna était bien rempli, mais elle était encore jeune et réagissait à l’instinct, un peu.
Sa mère s’en souviendrait, en temps opportun. Pour l’instant, elle regardait l’heure avancer, et calculait à quel moment Horgne allait se réveiller grâce aux amphétamines qui avaient remplacés ses anesthésiques.

L’œil sombre, encore un peu flou, Horgne ouvrit sa conscience au monde qui l’enveloppait dans un manteau de douleur très chatoyante, bien plus que les aurores boréales que de toute façon il n’avait jamais vu.
Le plafond se teinta de orange lorsque le garde-manger se mit debout et que les alarmes se déclenchèrent.

Asger comprit en les entendant que c’était le moment tant attendu. Il ne savait pas d’où viendrait l’assaut, mais il croyait deviner que cela venait de la cuisine qu’il venait de quitter, puisqu’il entendit un rugissement de rage venir de là.
La blessure de son gros orteil lui fit enfin mal. Il se souvînt aussitôt de Nanna et promit de lui faire sa fête quand il la retrouverait – un petit coup de pied au derrière lui ferait le plus grand bien.
Le sas derrière lui explosa et il se retourna. Les zombies qui lui servaient de famille avaient quitté le salon et le confort moelleux de la mousse pour répondre à son appel psychique.
Asger déploya ses ailes, faisant grincer les jointures. C’était des prothèses qu’Åsta lui avait faites avant de partir – partir où ? Personne ne savait encore où l’on partait quand on mourrait.

Horgne avala son petit frère comme s’il s’agissait d’un M&M’s. Il avait un goût faisandé de gélatine abandonnée au fond d’un placard. L’odeur n’était pas fameuse, aussi Horgne balaya la horde du bras avant de se tourner vers son aïeul. Ce dernier tentait d’avoir l’air impressionnant, à l’instar d’un dilophosaure aux yeux dilatés par l’excitation – Horgne ne connaissait pas assez son arrière-arrière-arrière grand-père pour savoir que ce dernier était content de le voir, même si la canne laser qu’il tenait dans la main semblait dire le contraire.
De toute manière, les entrailles de Horgne était en acier renforcé. La canne ne pouvait lui faire aucun mal.
Mais ce n’était pas pour se battre qu’Asger avait allumé sa canne. Il traça un cercle rapide autour de lui et le sol se déroba sous ses pieds.

La génitrice avait reprit entièrement connaissance après s’être sustentée. Le formol lui sortait encore par le nez mais elle était à nouveau vivante. Le sang de l’aïeule coulait dans ses veines, celui d’Asger à son oreille – c’était la vie et l’intelligence, elle ne pouvait que gagner cette fois.
La tablette dans ses mains lui indiquait où se trouvait le vieux. Il avait réussi à échapper au garde-manger et se dirigeait vers l’avant du vaisseau. Ses intentions en revanche n’était pas claires : soit il se dirigeait vers l’armurerie, soit vers les canot de sauvetage.
Asger n’était pas du genre à rester sur place si sa vie était en danger, mais cette petite tentative de meurtre suffirait-elle à lui faire penser qu’il l’était ?
Elle jeta la tablette sur une des bassines de liquide amniotique vide. C’est alors qu’elle remarqua l’absence de Nanna.

La petite galopait, tel un étalon lancé à pleine allure, pour rejoindre l’avant du vaisseau. Il y avait un enjeu de taille et elle le savait, même si elle ne pensait pas clairement. Elle savait, c’était tout.
L’odeur d’Asger se faisait de plus en plus prégnante, elle n’était plus très loin.
Ses cornes se prirent dans des câbles qui pendaient çà et là du plafond, et elle tira dessus jusqu’à se dégager.
Le vaisseau de mamie Åsta avait été remarquable il y a de cela quelques décennies – avant que Nanna ne naisse. Aujourd’hui, il était largement dépassé et tombait en miette, mais le fantôme de son amour continuait de hanter les lieux.
Nanna allait le délivrer.

Le pas traînant – sa plaie ne cessait de s’élargir, curieusement, et Asger commençait à penser que la morsure de Nanna était empoisonnée, ce qui ne l’aurait pas surpris – il atteignit le cockpit. C’était une large pièce dépourvue de confort.
Le squelette déformé d’Åsta gisait toujours dans le siège du pilote. Asger n’y avait pas touché depuis son décès, considérant que c’était à la fois inutile et que cela découragerait sa progéniture de prendre le contrôle de l’appareil. Ils étaient si sensibles à ce genre de chose. Si humains.

La porte s’ouvrit dans un chuintement et Nanna surgit, debout sur ses deux pattes arrière. Elle ressemblait à un diable tout droit sorti de sa boîte.
Asger pointa le canon du fusil qui était attaché à la ceinture d’Åsta sur sa petite fille et appuya sur la gâchette.

Åsta hurla à plein poumon dans l’oreille sourde d’Asger, et ce dernier fit tomber son arme, la balle ricochant à 10cm du crâne de Nanna. Il s’écrasa à terre et regarda Åsta, éberlué, la main sur son oreille. Mais il n’y avait rien. Le squelette n’avait pas bougé d’un pouce.

Ce fut le moment que choisit Nanna pour lui fracasser le crâne d’un coup de sabot.
« Alors, c’est assez stimulant pour toi ? », interrogea la voix narquoise de feu sa fille depuis les hauts parleurs du vaisseau.
Le sang d’Asger, vie liquide, crépita comme pour répondre.

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About Mia-

Membre du Club depuis 2005, Magali participe au comité de lecture d'AOC et s'occupe activement des matchs d'écriture, qu'elle colporte dans plusieurs festivals dédiés à l'imaginaire. Accessoirement, redoutable mouche du coche professionnelle :)

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