Votes pour le match d’écriture Utopiales 2024 – « Ma progéniture veut m’éliminer »

Les conflits entre une génération et la suivante, c’est un thème récurrent de l’humanité. Les uns disent que c’était mieux avant, tandis que les autres traitent les uns de vieux c… schnocks dépassés par le monde nouveau. Mais la plupart du temps, le conflit reste mesuré. 

Toutefois, que se passee-t-il en cas d’escalade ? Et si la jeune génération prenait des mesures radicales? 

Faites des enfants, qu’ils disaient… 


  • Faim de famille
  • Pour le meilleur
  • Laissez-nous respirer !
  • Sang bleu
  • La lumière d’une belle aube de glace
  • Ma progéniture veut m’éliminer
  • Intergénérationnel

Faim de famille

L’immense champ d’astéroïdes visibles par la baie vitrée semblait courir au ralenti sur une piste d’athlétisme multicolore. Des rubans de lumières jaunes, rouges, bleues, vertes, roses, se tortillaient dans le noir de l’espace comme une magnifique aurore boréale.
Cela faisait des centaines d’années qu’Asger n’avait pas vu de réelle aurore boréale. Sa Norvège natale lui manquait, ainsi que ses paysages enneigés l’hiver.

Une enfant en bas âge heurta ses jambes et Asger le chassa d’un geste brusque. Il avait été patient envers sa descendance au début, mais les ans s’accumulant, il avait appris à y être insensible, à l’image de certains animaux qui n’hésitaient pas à dévorer leurs petits pour survivre. Ou juste pour s’amuser.

La vieillesse avait lentement grignoté sa capacité à l’empathie, et la nostalgie, associée à la solitude et l’exil, lui avaient peu à peu fait perdre ses caractéristiques humaines. Et une grande partie de son ouïe, ce qui l’empêchait d’entendre les gémissements et les plaintes des membres de la famille autour de lui, qui se gavaient de liquide pseudo-nutritif, affalés dans des sofa en mousse gélatineuse. Ce n’était pas comme s’ils comptaient, simplement il avait besoin d’eux pour vivre. Ou le contraire.

Il ne se souvenait plus du sentiment qui l’avait poussé à partir.
Il savait qu’Åsta était celle qui voulait à tout prix partir, trop à l’étroit sur cette petite planète qui ne savait pas reconnaître la femme qu’elle était à sa juste valeur.
Elle était responsable de leur départ, puisqu’à l’époque il l’aurait suivi n’importe où, il en était fou amoureux, mais aujourd’hui il ne se rappelait même plus de ce que cela faisait. Il se souvenait pourtant de tout, de son visage, de sa voix, mais rien qui évoqua en lui davantage qu’une lassitude qui l’imprégnait jusque dans ses coracoïdes inutiles – puisqu’il n’avait plus aucune raison de voler. C’était son rêve à elle, pas le sien, mais il avait accepté tout ce qu’elle lui avait donné, parce qu’il l’aimait.

Sans préambule, la petite Nanna lui mordit sauvagement le gros orteil, et il la repoussa à nouveau, avec une pointe d’agacement. Les cornes de la gamine frémirent mais elle s’écarta finalement, laissant son aïeul à sa contemplation stellaire.
Les autres, petits et grands, les regardèrent d’un œil vitreux, surpris par tant de délicatesse. Nanna n’était pas connue pour sa gentillesse. Ni son intelligence, et il en fallait pour ne pas contrarier grand-père Asger.

Elle courut à quatre pattes se réfugier dans un tube dans le mur, qui menait à une autre pièce du vaisseau où nageaient plusieurs de ses cousins dans du liquide amniotique bleuté. Certains la saluèrent en agitant leur moignon de bras, mais elle ne leur prêta aucune attention. Elle se dirigea vers la salle de repos où se nettoyait sa mère.
La machine qui lavait le corps inerte sur la table d’inox se figea en détectant la présence de l’enfant. Elle écarta ses bras mécanique afin que Nanna puisse grimper sur la table et chuchota à l’oreille de la génitrice le goût du sang de papy sur sa langue.

Papy Asger quant à lui, avait enfin quitté la baie vitrée pour se diriger vers les cuisines, dans l’espoir de pouvoir manger quelque chose de frais. La vue de Nanna lui avait donné envie d’un cuissot de chèvre de la planète Fafnir B64.

Les moteurs faisaient vibrer le sol sous ses pieds nus. Il aurait dû faire installer de la moquette. Peut-être qu’un tapis pourrait atténuer la sensation ?
Il ne remarqua pas le sang qui gouttait sur le sol métallique et froid. Ça n’avait pas d’importance à ses yeux de toute façon, focalisé qu’il était sur sa survie – la nourriture. Le besoin faisait un gargouillis de tuyauterie dans ses intestins, y dévoilant un désir affreux mais solide de chair, n’importe laquelle, y compris la sienne.
Le garde-manger était une créature gigantesque qui était probablement son arrière-arrière-arrière petit-fils – quelque chose comme ça. Il suffisait d’ouvrir la trappe creusée dans son estomac en évitant de déranger les multiples fils d’anesthésiants, pour dénicher des produits frais parfaitement conservés.
Åsta avait conçu le procédé, mais ne l’avait jamais mis en œuvre car elle l’avait considéré comme trop barbare. Autrefois, Asger avait été d’accord avec elle.
Ce n’était plus le cas aujourd’hui. Il s’en moquait.

Il se fichait de tout ce qui pouvait arriver, du moment qu’il y survivait. Il n’avait pas traversé les siècles sans faire preuve de raisonnement.
Il savait que ce n’était qu’une question de temps avant que quelqu’un ne l’empêche de continuer à vivre, et dans cet environnement soigneusement contrôlé par ses soins, il ne pouvait s’agir que d’un membre de la famille. C’était le but de cette prison après tout.
La chasse au traître. C’était encore la seule chose qui le stimulait encore un peu.

Dans la salle de repos, la mère avala le dernier cousin qui vrombit misérablement avant de disparaître dans sa bouche.
Nanna sourit d’un air satisfait et sa daronne lui tapota le crâne comme on le ferait à un robot – ça ne sonnait pas creux pourtant. Le crâne de Nanna était bien rempli, mais elle était encore jeune et réagissait à l’instinct, un peu.
Sa mère s’en souviendrait, en temps opportun. Pour l’instant, elle regardait l’heure avancer, et calculait à quel moment Horgne allait se réveiller grâce aux amphétamines qui avaient remplacés ses anesthésiques.

L’œil sombre, encore un peu flou, Horgne ouvrit sa conscience au monde qui l’enveloppait dans un manteau de douleur très chatoyante, bien plus que les aurores boréales que de toute façon il n’avait jamais vu.
Le plafond se teinta de orange lorsque le garde-manger se mit debout et que les alarmes se déclenchèrent.

Asger comprit en les entendant que c’était le moment tant attendu. Il ne savait pas d’où viendrait l’assaut, mais il croyait deviner que cela venait de la cuisine qu’il venait de quitter, puisqu’il entendit un rugissement de rage venir de là.
La blessure de son gros orteil lui fit enfin mal. Il se souvînt aussitôt de Nanna et promit de lui faire sa fête quand il la retrouverait – un petit coup de pied au derrière lui ferait le plus grand bien.
Le sas derrière lui explosa et il se retourna. Les zombies qui lui servaient de famille avaient quitté le salon et le confort moelleux de la mousse pour répondre à son appel psychique.
Asger déploya ses ailes, faisant grincer les jointures. C’était des prothèses qu’Åsta lui avait faites avant de partir – partir où ? Personne ne savait encore où l’on partait quand on mourrait.

Horgne avala son petit frère comme s’il s’agissait d’un M&M’s. Il avait un goût faisandé de gélatine abandonnée au fond d’un placard. L’odeur n’était pas fameuse, aussi Horgne balaya la horde du bras avant de se tourner vers son aïeul. Ce dernier tentait d’avoir l’air impressionnant, à l’instar d’un dilophosaure aux yeux dilatés par l’excitation – Horgne ne connaissait pas assez son arrière-arrière-arrière grand-père pour savoir que ce dernier était content de le voir, même si la canne laser qu’il tenait dans la main semblait dire le contraire.
De toute manière, les entrailles de Horgne était en acier renforcé. La canne ne pouvait lui faire aucun mal.
Mais ce n’était pas pour se battre qu’Asger avait allumé sa canne. Il traça un cercle rapide autour de lui et le sol se déroba sous ses pieds.

La génitrice avait reprit entièrement connaissance après s’être sustentée. Le formol lui sortait encore par le nez mais elle était à nouveau vivante. Le sang de l’aïeule coulait dans ses veines, celui d’Asger à son oreille – c’était la vie et l’intelligence, elle ne pouvait que gagner cette fois.
La tablette dans ses mains lui indiquait où se trouvait le vieux. Il avait réussi à échapper au garde-manger et se dirigeait vers l’avant du vaisseau. Ses intentions en revanche n’était pas claires : soit il se dirigeait vers l’armurerie, soit vers les canot de sauvetage.
Asger n’était pas du genre à rester sur place si sa vie était en danger, mais cette petite tentative de meurtre suffirait-elle à lui faire penser qu’il l’était ?
Elle jeta la tablette sur une des bassines de liquide amniotique vide. C’est alors qu’elle remarqua l’absence de Nanna.

La petite galopait, tel un étalon lancé à pleine allure, pour rejoindre l’avant du vaisseau. Il y avait un enjeu de taille et elle le savait, même si elle ne pensait pas clairement. Elle savait, c’était tout.
L’odeur d’Asger se faisait de plus en plus prégnante, elle n’était plus très loin.
Ses cornes se prirent dans des câbles qui pendaient çà et là du plafond, et elle tira dessus jusqu’à se dégager.
Le vaisseau de mamie Åsta avait été remarquable il y a de cela quelques décennies – avant que Nanna ne naisse. Aujourd’hui, il était largement dépassé et tombait en miette, mais le fantôme de son amour continuait de hanter les lieux.
Nanna allait le délivrer.

Le pas traînant – sa plaie ne cessait de s’élargir, curieusement, et Asger commençait à penser que la morsure de Nanna était empoisonnée, ce qui ne l’aurait pas surpris – il atteignit le cockpit. C’était une large pièce dépourvue de confort.
Le squelette déformé d’Åsta gisait toujours dans le siège du pilote. Asger n’y avait pas touché depuis son décès, considérant que c’était à la fois inutile et que cela découragerait sa progéniture de prendre le contrôle de l’appareil. Ils étaient si sensibles à ce genre de chose. Si humains.

La porte s’ouvrit dans un chuintement et Nanna surgit, debout sur ses deux pattes arrière. Elle ressemblait à un diable tout droit sorti de sa boîte.
Asger pointa le canon du fusil qui était attaché à la ceinture d’Åsta sur sa petite fille et appuya sur la gâchette.

Åsta hurla à plein poumon dans l’oreille sourde d’Asger, et ce dernier fit tomber son arme, la balle ricochant à 10cm du crâne de Nanna. Il s’écrasa à terre et regarda Åsta, éberlué, la main sur son oreille. Mais il n’y avait rien. Le squelette n’avait pas bougé d’un pouce.

Ce fut le moment que choisit Nanna pour lui fracasser le crâne d’un coup de sabot.
« Alors, c’est assez stimulant pour toi ? », interrogea la voix narquoise de feu sa fille depuis les hauts parleurs du vaisseau.
Le sang d’Asger, vie liquide, crépita comme pour répondre.

Contrainte 1 Une étape a disparu
Contrainte 2 Une cloche muette

Pour le meilleur.

Mon prénom est aussi banal que mon nom. Je ne m’estime ni particulièrement séduisante ni spécialement repoussante. Je ne suis dotée d’aucune particularité physique notable. Je ressemble globalement à chacune de mes voisines. Mon existence est parfaitement heureuse et équilibrée. Je m’alimente sainement en suivant toutes les recommandations de l’Institut et pratique avec une assiduité sans excès une activité physique aérobie.

Nous habitons dans un cube blanc strictement identique à tous les autres. Peut-être devrais-je à ce stade préciser qui nous sommes ? Ou peut-être qu’au fond cela n’a aucune importance. Revenons-en à notre cube qui est pourvu d’ouvertures raisonnablement lumineuses et évite toute fioriture purement décorative.

Notre vie est parfaitement réglée ce qui permet à chacun d’entre nous un épanouissement certain, sans aléa et sans tragédie.

A la traditionnelle question “que faites-vous dans la vie?”, je réponds le plus souvent que je travaille dans l’immobilier. Cela ne présente aucun intérêt particulier et m’évite donc toute question annexe fâcheuse. Je n’aime pas m’étendre sur mes activités à l’Institut qui ne sont un secret pour personne et dont pourtant même mon Unité Nucléaire ne connaît pas le teneur.

L’Institut recommande qu’une Unité Nucléaire soit composée de deux adultes saines et de deux à trois enfants non porteuses de tare ni de handicap. Notre société offre une grande liberté à chacun, qui permet la pleine réalisation du potentiel individuel et collectif. Notre sexualité aussi bien régulée que notre vie nous permet un contrôle parfait de la procréation.

Cependant il est à noter que toutes les Unités Nucléaires ont, à ma connaissance, fait le même choix que nous de s’arrêter à deux enfants.

 

Il me semble à présent nécessaire d’évoquer Enfant 1 et Enfant 2, dont nous sommes les génitrices comblées. Cela fait environ douze ans que notre Unité Familiale a été dotée de ces bambins qui égayent sagement notre quotidien. Elles fréquentent comme l’ensemble des Enfants, l’Annexe de l’Institut où elles sont éduquées avec une bienveillante fermeté. Le programme éducatif n’est pas connu des génitrices mais au fond cela ne nous concerne pas.

Enfin plutôt devrais-je dire que cela ne nous concernait pas jusqu’à ce jour, notre seule mission étant d’assurer leur passage au stade Adolescent puis au stade Adulte au moment adéquat. Il suffit pour cela de suivre les conseils avisés de l’Institut.

Vous ai-je déjà parlé de la Cloche qui trône sous la marquise à l’entrée de notre cube? Oh, soyez tranquilles, elle n’a rien de bien particulier, elle est gracieusement fournie par l’Institut avec l’Enfant et elle a le bon goût de se tenir silencieuse en toutes circonstances.

Or donc quand les signes ne trompent pas, et qu’il est temps pour l’Enfant de devenir l’Adolescent, il suffit à l’une de nous autres génitrices d’actionner cette muette Cloche afin qu’opère le changement de statut. Il s’agit d’un ingénieux système qui dispense génitrices et enfants de porter le poids d’une période de transition lente, pénible et inexorable d’un stade à l’autre. Le changement de statut est alors simple et indolore, et se répète lors du passage au stade Adulte.

 

Vous me permettrez une petite digression sur le dernier Conseil de l’Institut auquel j’étais tenu d’assister en tant qu’Eminence Immobilière de l’Institut. Le constat global était sans appel : le stade Adolescent est inutile, voire délétère. En effet, notre Rapport Global de l’Eminence des Stades pointait l’oisiveté, la paresse et la superficialité de ce stade peu bénéfique à notre collectif. Par ailleurs les émois et transgressions propres à ce stade étaient décrits comme non productifs. Je n’ai pas d’opinion spécifique sur ce point, on ne me demande pas d’avoir une opinion. Aucune d’entre nous ne semblant avoir d’arguments à opposer à ces constats, il fut acté à l’unanimité la suppression définitive du Stade Adolescent, qui fut annoncée immédiatement à l’ensemble de la population. Cette décision ne suscita aucune réaction, aucune réaction n’étant attendue bien évidemment.

 

Revenons-en aux fâcheux événements survenus ce jour, lorsque je m’apprêtais à partir à 7h46 précises comme chaque matin rejoindre mon agence immobilière, et que Génitrice 2 rangeait les goûters nutritionnellement adaptés dans les sacs d’Enfant 1 et d’Enfant 2. Tout semble alors similaire à hier comme à demain, ce qui est parfaitement rassurant et profitable à tous.

Mais nous recevons alors une convocation tout à fait inhabituelle de la Proviseure de l’Annexe de l’Institut. Je vous passerais les détails fastidieux de notre échange à l’Annexe qui alourdiraient ce récit jusqu’à présent sans faille. Mais en substance, il s’agirait de débats inappropriés qu’auraient engendré Enfant 1 et Enfant 2 à la récréation avec leurs camarades. Ces débats semblaient concerner la récente décision du Conseil, mais là n’est finalement pas le problème, puisque bien entendu tout débat est inapproprié : les choses sont comme elles sont, pour le meilleur.

La Proviseure finit par nous énoncer sans surprise que ce type de comportement appelle bien sûr une sanction tout à fait légitime de nos bambins. Elle conseille par ailleurs leur passage imminent au Stade Adulte afin de permettre leur plein épanouissement. Je ne sais que penser de cette recommandation, d’ailleurs je respecte toujours avec la plus grande probité les recommandations pour notre bien, ce qui me dispense de penser.

Je pars donc discrètement contrariée mais tout à fait sereine travailler dans l’immobilier, tandis que Génitrice 2 s’en repart tout aussi contrariée et sereine à notre cube. Il n’est nul besoin d’échanger entre nous, nous actionnerons bien sûr la Cloche dès ce soir. La journée s’annonce malgré tout raisonnablement satisfaisante.

 

Le soir-même, je rentre à 17h30 précises au cube, où je m’apprête à passer une soirée banalement plaisante, ou plutôt devrais-je dire plaisante car banale, au sein de mon Unité Familiale. J’ouvre la porte sans bruit excessif, je dépose mes souliers dans l’entrée, accroche mon manteau à la patère, desserre d’un cran la ceinture de mon pantalon afin de me mettre à l’aise et ôte un bouton de mon col de chemise. Je m’apprête à aller saluer d’une politesse chaleureuse Enfant 1 et Enfant 2 lorsque Génitrice 2 me rejoint dans l’entrée du cube. Elle semble flottante, plutôt souriante, avec un je-ne-sais quoi de dissonant qui plâne dans l’atmosphère paisible. Elle semble hésiter puis m’annonce d’une voix égale et sans préalable qu’Enfant 1 et Enfant 2 ont rédigé et distribué un manifeste à leurs camarades.

Nous, Enfants, réclamons le droit à l’Adolescence. Nous aspirons à ricaner entre nous de blagues inaudibles pour les Adultes, à nous nourrir d’aliments trop sucrés et trop salés et trop gras, à réinventer notre langage, à décorer notre chambre, à nous éclipser en douce pour rejoindre nos semblables, à lutter contre les points noirs, à embrasser furtivement et peut-être maladroitement, à rêver et à désespérer. Il est temps d’éliminer toutes les Eminences de l’Institut qui nous ont privé de manière abjecte de ce droit. Enfants de tous cubes, unissez-vous.

 Génitrice 2 m’informe par ailleurs qu’Enfant 1 et Enfant 2 ont disparu. Nous choisissons raisonnablement de rejoindre notre salon blanc et d’y poursuivre nos lectures respectives. Ce soir nous actionnerons la Cloche silencieuse comme prévu.

 

Contrainte Une machine à café

Laissez-nous respirer !

LLa sirène n°12 vient de retentir et déjà la panique s’installe.

Le son strident qui nous vrille les oreilles nous prévient d’un danger imminent.

Les parents affolés regardent leurs enfants d’un drôle d’air et réciproquement.

Tous les torrents d’amour et de papouilles qui se déversaient depuis la naissance de ces chères têtes blondes viennent de voler en éclat à cause de ces quelques notes de musique..

 

Faut dire que depuis des années qu’il préparent ce voyage, ils ont imaginés bien des problèmes mais celui-la ils l’ont occulté, oublié, enfoui au plus profond des replis de leurs mémoire.

On les a pourtant bien préparés lorsqu’ils étaient encore sur la Terre, avant qu’ils franchissent le sas de sécurité qui doit les mener sur Mars.

Ils en ont subis des tests et des épreuves pour être sur de pouvoir supporter le voyage

et leur installation sur la planète rouge.

 

Moi, ce qui m’a fait tout de suite tilter c’est l’espoir de commencer une nouvelle vie et de fuir la Terre et ses catastrophes climatiques incessantes.

Non, c’est pas vrai, c’est surtout le montant de la prime stratosphérique et la liberté d’un nouveau monde.

Depuis que je suis veuf, j’élève ma fille tout seule.

Je lui ai pas demandé son avis avis et lui ai promis qu’elle se ferait plein de nouvelles copines Martiennes. ( non, pas des petites créatures vertes à tentacules, mais des enfants nées des premiers colons terriens )

 

Tout bien réfléchi et d’après ses crises de larmes et ses cris jusqu’a l’embarquement

je ne suis pas sûr que ce voyage l’enchante…

J’ai surpris d’étranges conversations avec les nouveaux amis qu’elle s’est fait pendant le voyage. Ils forment des groupes et semblent s’entraîner ensemble à des jeux de rôles,

toujours à l’écart des parents. D’après mes renseignements, rares sont les enfants qui ont quitté la terre et leurs habitudes avec plaisir.

 

La sirène me tire de mes pensées et me ramène les pieds sur terre, façon de parler.

Jusqu’ici le voyage s’était bien passé et on nous a promis que grâce au nouvel accélérateur à particules quantiques, le voyage ne durerait pas plus de six mois…

Les concepteurs du vaisseau ont tout prévus, même les accidents potentiels, et ont établis des règles strictes : en cas de rationnement, priorité aux plus jeunes.

 

La voix grave et rocailleuse du commandant se fait entendre :

 

— Un morceau de vieux satellite vient de percuter notre réserve d’eau et des fuites importantes sont apparues. D’après les calculs de Mère IA, (que sa sainte science nous protège ) nous ne pourrons pas atteindre notre destination sans sacrifier un tiers des passagers ! Comme prévu dans les contrats que vous avez signés, chacun sait ce qu’il a faire. Nous vous attendons donc en salle de départ pour votre sortie dans l’espace.

Bien sur nous mettons à votre disposition des scaphandres derniers cris et des mini rations de survie qui vous permettrons peut-être d’atteindre un satellite ou une station…

 

Hors de question que j’obéisse à cet ordre stupide !

Je regarde autour de moi et je constate qu’il n’y a que des adultes autour de moi !

Soudain des coups de feu retentissent, suivi de cris.

La voix du commandant résonne à nouveau :

Mesdames et messieurs les passagers veuillez garder votre calme s’il vous plait !

N’oubliez pas que la survie de notre colonie dépend de vos comportements !

AAAAH !…

Oui, c’est bien la voix du commandant qui vient de pousser ce râle…

 

Les gens commencent à courir, affolés;

Un homme me saisit par l’épaule et me crie : c’est les enfants ! Ils tuent tous les adultes !

Ils ont pris le commandement du vaisseau !

Je continue à courir sans but dans les coursives tout en réfléchissant…

J’ai besoin d’un café pour m’éclaircir les esprits !

Je grimpe jusqu’au réfectoire central et j’avise la rutilante machine à cafAI.

Elle me demande : cappuccino ? ( elle m’a reconnu et connait mes préférences )

Allez, un dernier petit plaisir !

 

Une cohorte d’enfants armés de turbo laser surgit soudain du couloir et en criant à tue tête  : » Laissez-nous respirer !!!» se met à mitrailler à tout va.

J’ai eu le temps de saisir ma tasse et je l’envoie sur le visage du premier enfant que je croise.

Je ramasse son arme pendant qu’il hurle et je m’éclipse, non sans avoir remarqué que c’est ma fille qui mène la troupe !

 

Partout dans les couloirs ensanglantés gisent des corps d’adultes.

Des parents sont enlacés avec leurs enfants, à l’issue de combats dramatiques.

Un coup sur la tête et je me sens soulevé et porté vers les sas d’évacuation .

J’ai le temps d’apercevoir le visage de ma fille qui grimace un rictus et qui me fait un petit signe de la main.

 

Le vaisseau programmé depuis la terre continue sa trajectoire vers Mars… et moi aussi.

 

Contrainte 1 :  Un technophobe
Contrainte 2 :

Sang bleu

De grands vaisseaux ovales survolaient la mer. Les mastodontes de métal planaient, mitrailleuses déployées, telles d’immondes araignées grises sans yeux et sans visages, leurs longues pattes d’acier flottant dans les airs. L’homme en blanc déclencha la submersion. En une fraction de seconde, les machines s’enfoncèrent dans l’immensité azure. Seuls leur projecteurs enfouis, perçant à travers les flots, permettaient de suivre leur course folle, menée par un courant de plus en plus rapide. Le commandant sourit, satisfait. « Transfert effectué ». Les soucoupes surnageaient désormais en eaux écarlates et poursuivaient leur progression jusqu’à leur objectif : des cellules à éliminer.

 

Alicië retira son holocasque précipitamment, écœurée. Juste à temps. Elle expira lentement, chassant la nausée de son esprit troublé. Elle eut à peine le temps d’inspirer à nouveau avant que le casque se mette à clignoter. Tous les voyants à la fois. Bleu, rouge, bleu, rouge, bleu, rouge. Alicië soupira. Elle replaça l’engin sur sa tête. Ses longs cheveux roux en dépassaient : la frange, devant, s’enfuyait entre les lunettes et le bonnet de cuir, tandis que la pointes, à l’arrière, semblaient dégouliner jusqu’au bas de son dos, recouvrant en partie le dossier de son siège.

 

– Oui, Hectal ?

– Tu n’as pas regardé en entier, n’est-ce pas ?

 

L’hologramme de son frère, appuyé sur un mur invisible, se matérialisa au milieu du salon. Sous l’éternel treillis qu’il arborait depuis 2 ans, son avatar lui parut plus musclé que la veille. Il avait dû passer sa soirée à faire de la gym en ligne, ou alors y investir plusieurs centaines d’avacoins. Ou les deux. Il avait toujours été obsédé par les apparences.

 

– Pardon ? Tu m’espionnes maintenant ? Peut-on savoir comment tu…

– J’ai vu une personne connectée sur le serveur du Dr Ytrab et je me suis douté que ce serait toi. Il n’a pas des millions de followers, tu sais. Tu m’avais promis que tu regarderais l’holotuto ce week-end… Bref, ce n’est pas de l’espionnage, c’est de la déduction.

 

Alicië leva les yeux au ciel. Ce que son frère pouvait être agaçant. Et insistant. Et envahissant !

 

– Hectal, je sais ce que tu vas me demander : non, je n’ai toujours rien décidé. J’ai besoin de temps, j’ai besoin d’espace. Plus tu me harcèles, moins j’avance !

– Harceler, harceler, tout de suite les grands mots. Hier, tu m’as dit que tu avais besoin de comprendre comment cela fonctionnait : j’ai attendu ta petite plongée virtuelle dans le grand bleu pour poursuivre la conversation. Mais de ce que je comprends, tu as vu rouge avant la fin de l’explication, s’esclaffa Hectal.

 

Alicië sentit tous ses muscles se raidir. Vas-y de ta petite moquerie, Hectal, fais-toi plaisir. Elle ignora sa provocation. Cela faisait bien longtemps qu’elle n’entrait plus dans son petit jeu.

 

– Bon, Hectal, écoute-moi bien. Je vais regarder la fin, car je veux prendre la meilleure décision pour Papa. Puis je vais passer ma soirée tranquille et peser le pour et le contre. Je vais laisser la nuit me porter conseil. Et je t’appelle demain. Inutile de me déranger d’ici là, je ne répondrai pas. Bonne soirée à toi.

 

Elle appuya immédiatement sur le bouton rectangle situé sur sa tempe droite, arracha son iCask et se leva d’un bond. Elle avait besoin d’air.

 

La rue était déserte. Elle croisa un auto-taxi, vide. Elle ne s’habituait pas à ces véhicules sans chauffeurs, semblant errer sans but. Cette voiture vide, dans cette rue vide. Cette vie, vide… bientôt plus vide encore, peut-être ? L’absence de chauffeur, l’absence de passager, l’absence, tout court, l’envahirent, l’engloutirent, engourdissant ses pas. Elle sentit l’angoisse grimper le long de sa gorge, s’accrocher à son menton, se glisser dans ses yeux et rejaillir immédiatement, les larmes chaudes réchauffait ses joues glacées, dans cet hiver glacial, dans cette nuit tombée trop tôt, dans ce quotidien désespérément vide, dans cette solitude insupportable.

 

Son pronostic vital était engagé. Voilà ce qu’ils avaient dit. Tous ces hommes en blanc, à l’hôpital, l’avaient toisée il y a 3 mois, alors qu’elle soutenait son père et son refus. Il ne voulait pas de sang bleu. Il l’avait d’abord dit en riant, multipliant les jeux de mots sur la noblesse, lui qui s’était toujours revendiqué « prolo et fier de l’être ». Ses blagues étaient entrecoupées de quintes de toux interminables. Ses yeux bleus semblaient délavés, ses joues rouges contrastaient avec ses fins cheveux blancs. Puis il l’avait dit plus sévèrement : on n’envisageait quand même pas sérieusement de lui injecter des nanorobots télécommandés ? Il n’était plus question alors de plaisanter. Mouradech ne céderait pas. Hors de question qu’on lui plante une aiguille dans le bras et qu’une bande de gamins en blouse jouent à Star Wars dans ses vaisseaux sanguins ! Ce jour-là, Alicië avait secoué la tête, mi-amusée, mi-honteuse, consciente du ridicule d’une telle remarque face à une horde de chirurgiens à l’air sévère. Mais en regardant l’holotuto tout à l’heure, elle s’était fait la même réflexion. Franchement, même la musique qu’ils avaient choisie pour leur vidéo rappelait des guerres intergalactiques.

 

Alicië accéléra le pas. Elle marchait toujours plus vite quand elle était soucieuse, comme si elle pouvait fuir ses problèmes. Fuir ces images. Ces vaisseaux guerriers qui allaient entrer dans le sang de son père. Ces machines de mort qui étaient sensées lui redonner la vie. Qui tueraient ses cellules pour le sauver ? Mais que tueraient-elles d’autre ? Mouradech avait-il raison de se méfier ?

 

D’après lui, la technologie n’était pas assez maitrisée. Les cibles étaient encore mal identifiées. D’ailleurs, il en était sûr, son amie Sylvane avait beaucoup changé après son injection de sang bleu. Il ne l’avait plus vue rire, ni pleurer. Elle semblait comme anesthésiée de tout. Hectal lui, prenait toujours Sylvane comme exemple : tu vois, elle n’a rien oublié ! Il s’agaçait des hésitations de son père, qui n’avait jamais rien compris, qui voulait vivre dans l’ancien monde, qui rejetait toute forme de progrès !

 

Mais Alicië, elle, doutait. Quand Sylvane racontait leurs souvenirs, ses récits étaient, comment dire ? Plats ? Alicië n’arrivait pas à décrire cette sensation étrange. Elle entendait ces histoires, elles les reconnaissaient – c’étaient ses souvenirs d’enfant, après tout – mais quelque chose clochait. Comme si ces souvenirs n’avaient pas été vraiment vécus. Comme s’il y manquait des couleurs. Comme s’ils étaient un peu trop… Lisses ? Un peu… Vides ? Ce n’était pas très rationnel. Opposer cette étrange sensation à une décision de vie ou de mort. Littéralement. De vie ou de mort.

 

De retour chez elle, Alicië se sentait encore plus perdue. Sa marche nocturne lui avait au moins permis de se défouler un peu. Elle avait laissé sa colère contre Hectal sur le bord de la route. Allongée sur son canapé indigo, elle serrait dans ses bras une vieille peluche panda, roux, offerte par sa mère quand elle était enfant. Sa mère qui, depuis le mur d’en face, semblait la regarder avec compassion. Elle les avait quittés 4 ans plus tôt, emportée elle aussi par un cancer. Depuis, son père n’avait eu de cesse de la dessiner. Pas ces espèces de créations digitales assistées par IA, comme on les voyait désormais pulluler dans les galeries d’art. Non, de vrais dessins. Il l’avait dessinée 53 fois déjà. 53 portraits monochromes. D’abord au crayon, puis au stylo, puis au marqueur, sur tous les carnets qui lui passaient sous la main. A la bombe ensuite, en grand, sur un pan entier de la ferme où il vivait reclus. Les voisins le prenaient pour un fou. Et puis à l’aquarelle, mêlant les pigments à ses larmes, mais les images étaient trop floues. Il avait une peur bleue de l’oublier, alors il la dessinait encore, et encore, dans toutes les couleurs que la vie lui avait offertes. Et il en tapissait les murs de sa maison. Sur les œuvres, Alma avait toujours la même expression, mais ne dégageait jamais la même chose. Des éclats de parme lui donnaient l’air mélancolique, les reflets verts respiraient l’optimisme, l’orange ensoleillé rappelait sa joie de vivre.

 

Pour ses 30 ans, il avait offert à Alicië une toile tissée, recouverte d’une peinture épaisse, étalée par le poignet fin et agile d’un vieil homme déchiré par le deuil de celle qu’il avait tant aimée. Le seul tableau multicolore. A chaque regard qu’elle lui lançait depuis sa toile, la mère d’Alicië semblait lui dire une chose nouvelle. Elle l’avait guidée dans de nombreux choix difficiles. C’était tout ce qu’il restait d’elle. Une image et un souvenir. Qui lui resterait-il si Mouradech la quittait, lui aussi ? Alicië secouait la tête, cherchait à remettre de l’ordre dans ses pensées. Elle ne supporterait pas d’être orpheline, encore. Hectal avait raison : il fallait tout tenter, il fallait faire confiance à la science, il fallait ignorer les délires technophobes de leur vieux père et ses soi-disant intuitions ! Alicië décela dans son sourire confiant une approbation : je sais que tu prendras la bonne décision, ma chérie.

 

La semaine suivante, Alicië se rendit à la clinique avec Hectal. Le délai de réflexion était écoulé, il fallait maintenant rendre une décision. Elle signa d’une main tremblante le document de consentement, avant d’aller demander pardon à son père. Elle le serra dans ses bras et se confessa dans le creux de son oreille. Elle regarda les larmes impuissantes de son père ruisseler dans les pattes d’oies qui encadraient ses yeux. Il se résigna.

 

– Alicië, ma chérie, je te comprends. Je ne veux pas t’abandonner. Mais si, après l’injection, tu vois le gris gagner mes yeux, promets-moi que tu m’aideras à quitter ce monde. Ces nano-robots, parfois, ils volent les couleurs de la vie des gens. C’est cela, qui est arrivé à Sylvane, tu sais. Je ne veux pas d’une vie en noir et blanc. Je ne veux pas d’une vie sans émotions.

Contrainte : 

La lumière d’une belle aube de glace

A

Si la conscience d’Oïdep n’avait pas été endormie pour son long exil, il lui aurait été possible de saluer une dernière fois les flancs du volcan de glace. Je l’imagine, allongé sur le dos, les genoux repliés en un angle de quatre-vingt-dix degrés, dans la capsule qui les emporte, lui et toutes les autres créatures – jusqu’alors vivantes – de notre village. Il lui est impossible de saluer une ultime fois cette montagne sacrée qui a abrité sa longue initiation.

Il lui est impossible également de saluer mon âme, alors qu’il m’a abandonnée dans un des refuges de cette même montagne.

 

Oïdep ne m’a jamais donné de nom tendre ni « maman » ni « papa », malgré ma tendresse, malgré mes transformations – ou du fait de mes transformations. Dès ses premiers mots, il a exigé qu’on lui parle au masculin, arguant qu’il ne souhaitait pas vivre de phase femelle. « Pas question de donner la vie, jamais je ne ferai sortir quelqu’un de moi ! », hurla-t-il lors d’un cours sur la parthénogenèse, choquant ses camarades et ses professeurs.

 

Construit au pied d’un volcan de glace comme la plupart des habitats, notre village était constitué d’habitations légères, construites en assemblant les troncs des herbes géantes qui nous entouraient. La présence du volcan de glace sous le dôme nous assurait le ravitaillement nécessaire en eau. Chaque habitat protégeait un parent et sa progéniture, comme nous protégeait le dôme gigantesque qui couvrait le village et le protégeait des vents de poussières et du froid mortel. Sur l’ensemble habité de notre planète, chaque dôme de lumière était maintenu par l’onirodynamie, la puissance générée par les rêves. Nous participions comme « onirodynamiques » à tour de rôle. C’était une tâche à la fois complexe et grisante – j’adorais ces moments de partage intense, d’amour puissant, cette construction de songes communs qui fortifiaient et redessinaient le dôme.

Oïdep détestait ces périodes au cours desquelles il vivait chez notre voisin Orim et son enfant Esum. À chacun de mes retours, il boudait, grognait et me reprochait de rêver sans lui et de revenir avec « de drôles d’idées », de l’avoir abandonné à ses cauchemars. Incapable de comprendre ce besoin de non-partage, je ne compris pas que sa colère prenait le pas sur tout autre sentiment.

 

Son sommeil d’enfant puis d’adolescent a toujours été agité ; j’ai passé tant de nuits à le bercer, à lui murmurer des chants d’apaisement, à caresser les écailles de son crâne, ses quatre mains dans les miennes. Rien n’y faisait, les cauchemars semblaient le hanter. Je mis longtemps à comprendre qu’ils empiraient proportionnellement à mes travaux de création.

Tout commença lors du dessin des aqueducs simplifiant l’alimentation en eau de notre village. Oïdep n’était pas très âgé, mais aimait déjà dessiner pour exprimer ce que son vocabulaire encore trop limité peinait à décrire. La veille de la présentation de mon projet aux Anciennes du village, je trouvai dans ma pièce de travail une tablette gravée, sur laquelle on voyait deux êtres difformes – crânes trop ronds, yeux trop petits, bras trop courts, des mains seulement aux extrémités de leurs membres supérieurs – qui pointaient une sphère gigantesque au-dessus d’eux. Sur cette sphère, je reconnus le tracé enfantin des pôles de notre planète, et ici et là des traits bien trop droits pour être naturels : « mes » canaux qui s’entrecroisaient. Comme j’examinais cette tablette avec curiosité (quels drôles de personnages), je reconnus son trottinement caractéristique derrière moi, et sa petite voix, très sérieuse :

« Yokas, si on construit ça, ils vont nous voir.

— Qui ça, « ils » ?

— Eux, les bizarres. Ceux qui nous chercheront.

— Quand ça, qui ? Je ne comprends pas, mon enfant.

— Les bizarres, je te dis ! Ils vont voir ce que tu construis, ils vont venir, et on devra quitter le dôme sacré ! Je les vois tout le temps quand je dors !

— J’ignore de qui il s’agit, mon enfant. Mais je vais en parler aux Anciennes demain. Est-ce que tu m’autorises à leur montrer ta tablette ? »

 

Évidemment, les Anciennes ne prirent pas au sérieux l’avertissement d’Oïdep, « cette bougresse d’engeance » comme l’une d’elles l’appela. Ce qu’elles appelaient « l’entêtement » de mon enfant à rester dans le mâle le desservait dans le moindre aspect de sa jeune vie. Seule Kassadr resta silencieuse, attrapa la tablette pour l’examiner le temps de quelques respirations avant de me la rendre.

Évidemment, Oïdep me rendit responsable de ce qu’il considérait une trahison, un échec. Les révolutions autour de notre étoile continuèrent, ses cauchemars aussi, mes longues insomnies pour le bercer également.

Évidemment, les aqueducs furent construits, l’eau extraite, transformée et acheminée ; je conçus un nouveau projet, et je pense que c’est à ce moment qu’Oïdep conçut le sien.

 

Afin d’assurer le plus grand calme possible aux onirodynamiques, j’imaginai un « dôme dans le dôme », œuvre minérale dans laquelle nous pourrions rêver sans interférence de l’extérieur, loin du bruit des vents et dans une température stable. Je conçus les plans, réfléchis aux ouvertures et au système d’aération, à l’alimentation en eau. Lors de ces phases d’onirodynamique, nos organismes en stase avaient peu de besoins énergétiques, mais nécessitaient une hydratation largement supérieure à ce dont nous avions besoin habituellement. Je réfléchis donc à un système permettant une récupération de l’humidité ambiante plus efficace encore à celui des toits de nos habitats, aux extrémités courbes emprisonnant l’eau et en assurant la redistribution à chaque étage. Le dessin final de mon « onirodôme » présentait une structure longiligne, basse, au toit presque plat, d’une taille gigantesque puisque mes calculs lui faisaient occuper une bonne partie du sol de notre dôme entre nos habitats et les flancs du volcan. J’avais également joué avec les canaux de ruissellement de l’étrange toit plat pour y faire apparaître un visage, suffisamment grand pour être vu depuis l’espace.

J’aimais l’idée que d’autres intelligences puissent apprécier l’harmonie de notre civilisation.

La vue de ce dessin provoqua un puissant choc dans l’imagination d’Oïdep. Les créatures qui le hantaient lui donnèrent des visions même de jour. Son comportement, de difficile, devint dangereux. Le Conseil des Anciennes s’en inquiéta. Au cours d’une nuit particulièrement violente, il griffa ses propres paupières jusqu’au sang dans des hurlements d’horreur. Au matin, Kassadr convoqua une assemblée générale. Cette souffrance était douloureuse pour l’ensemble de notre communauté. Sans compter qu’Odeïp était désormais proche de l’âge auquel il devait commencer à participer à l’onirodynamie. Les discussions durèrent plusieurs révolutions sur nous-mêmes. Le verdict, enfin, tomba, un jour d’éruption.

« Le conseil te déclare inapte. Tu partiras en initiation sur le volcan. La glace pour te former au contrôle de tes rêves, le feu pour faire surgir de toi ta part femelle, et le tout pour t’imposer la maîtrise de toi-même, puisque ton parent en a été incapable. »

Je n’oublierai jamais son regard sur moi. De glace et de feu bien sûr, de haine. Mon enfant, comme les Anciennes, me rendait responsable de sa différence.

 

Les révolutions autour de notre étoile continuèrent. Je participais comme avant à l’onirodynamie ; le reste du temps, je vivais dans mon habitat, en solitude, et supervisais de temps en temps l’avancée des travaux de l’onirodôme. J’alternais les phases mâles et femelles, mais échouai à donner une nouvelle fois la vie.

Oïdep me manquait.

L’initiation d’Oïdep était douloureuse, difficile ; avec les rares camarades de son âge sur place, vivant mal cet exil de notre village, il conçut sa propre ligne de conduite, son propre système de pensée. Loin de s’apaiser, les cauchemars s’intensifièrent ; les créatures qu’il avait dessinées dans son enfance étaient comme incrustées dans son imagination, sa pensée, et ne lui laissaient aucun répit. Il était fasciné par l’astronomie et par une des planètes lointaines en particulier, qu’on devinait bleue de glace. « Ils viendront de là », affirmait-il. « Ils viendront, détruiront nos dômes, nous détruiront. Ils chercheront nos aqueducs, ils chercheront le Grand Visage de l’onirodôme, et ils nous détruiront. »

Coincée dans mes peurs et dans mon amour inconditionnel pour mon enfant, je n’ai pas compris qu’il n’était plus seul dans sa folie.

D’autres le suivirent, car sa nature de « mâle entier », son charisme et ses certitudes les fascinaient.

 

Lorsqu’il y a quelques jours, on a détecté un signal de vie sur cette fameuse planète bleue de glace, cela a été le déclenchement d’une folie collective.

Il a commandé leur départ de notre dôme, en réquisitionnant les capsules d’exploration. Toutes les créatures vivantes de notre village l’ont suivi.

Il a organisé ma mise à mort, en m’enfermant dans le refuge même où il a subi son initiation. En l’absence d’onirodynamiques, le dôme ne va pas tarder à disparaître. Mon enfant ne me tuera pas de ses mains. Le froid, les vents de poussière et la solitude sont en train de s’en charger.

Par les fentes des troncs qui constituent mon ultime habitat, alors que les capsules d’exil s’éloignent, passe la lumière d’une belle aube de glace.

Contrainte 1 : Une éclipse à 13h15
Contrainte 2 :

 

Il y a dix ans, les autorités d’Ys ont décrété que les éclipses nourricières auraient lieu chaque mois à 13h15, plutôt que tous les ans, ceci afin d’accroître la récolte des cervacules.

Les miséreux d’Ys se complaisent à penser que leur vie serait plus confortable sans les éclipses nourricières. L’Index des Pertes Acceptables établit que 23% des décès dans la ville basse sont directement causés par les éclipses, puisque celles-ci provoquent des marées incontrôlables pendant lesquelles les gens ont tendance à se noyer.

Beaucoup de hautois s’insurgent dans la ville haute.

On dit que les chiffres sont exagérés.

On dit qu’ils seraient bien plus élevés sans la générosité des nombreux hautois qui invitent leurs employés à rester chez eux pendant les éclipses. Ma femme Joela fait partie de ces derniers.

Toutes ces réactions sont le fruit de la culpabilité des hautois, parce qu’ils vivent dans l’opulence et la sécurité et mangent des cervacules tous les jours.

Mais ils ont tort, Joaela a tort.

Les chiffres sont vrais. Je suis bien placé pour le savoir. Je supervise moi-même la récolte et l’analyse des données. L’année dernière, j’ai dû demander à Jandris de vérifier quatre fois son travail, parce qu’il n’était pas concentré après avoir perdu le reste de sa famille pendant l’éclipse. C’est l’époque à laquelle Joela l’a invité à s’installer chez nous de manière permanente.

Ce que les hautois peinent à comprendre, c’est que sans les éclipses, nous trouverions une autre fonction aux bassois. Peut-être vivraient-ils plus vieux, mais ce n’est pas certain. Peut-être que les éclipses sont une bonne chose, dans la mesure où elles épargnent aux plus jeunes la perte inexorable de tous leurs espoirs.

J’évite de trop en parler à table. Mon fils, Riwod, a tendance à vite s’emporter. Joela lève les yeux au ciel, et Jandris baisse la tête, comme pour faire oublier sa présence. Les choses étaient différentes avant que je commence à travailler pour l’Index des Pertes Acceptables. Désormais, il semble impossible de profiter d’un simple repas en famille.

Je tourne délicatement le cervacule contre mon couteau pour retirer les tentacules, non comestibles. Puis je m’attaque à la membrane extérieure.

Personne ne pipe mot pendant que je découpe le met en quartiers et le dispose dans les assiettes en porcelaine. Jandris est le dernier servi, et le premier à m’adresser un hochement de tête. Les repas étaient plus agréables lorsque chacun pouvait s’exprimer sans que cela provoque une polémique. Il faudra que je reparle à Joaela de la présence de Jandris sous notre toit. Volontairement ou pas, je refuse qu’il influence Riwod dans ses opinions politiques.

Aujourd’hui, c’est l’amertume qui tapisse ma bouche alors que le cervacule fond sous ma langue.  Pour la première fois, je n’en retire aucun plaisir.

— Il doit être avarié, je grommelle. Arrêtez, arrêtez de manger !

Je claque des doigts, et j’ai-oublié-son-nom apparaît.

— Veuillez vous rendre aux cuisines pour nous ramener un nouveau cervacule. Au passage, vous en profiterez pour dire à la cuisinière d’être rentrée chez elle pour 13h15.

Un toussotement m’échappe alors qu’il repart. J’avale une gorgée d’eau. J’ai besoin de boire, beaucoup, pour que le silence ait une bonne raison d’être et parce que j’ai chaud.

J’étouffe.

J’entends mes propres râles pour récupérer l’air qui me manque. Riwod me fixe, la mâchoire serrée. Ce garçon me hait. Il me provoque depuis des années, chaque fois que l’on parle des bassois.

Jandris garde la tête baissée. Ses yeux bleus ont l’air rouges. Pauvre petit… Il vient de réaliser qu’il n’a plus de travail. Puis l’amour de ma vie se lève, s’approche de Jandris et l’enlace, d’une étreinte tendre, qui n’a rien de romantique. Il s’agrippe à elle comme à une bouée en pleine marée.

Comme un fils à sa mère.

Personne ne pipe mot.

Contrainte 1 :  Retour en arrière
Contrainte 2 : Une herbe sensée

Intergénérationnel

La lumière est différente aujourd’hui. Plus faible. Ce n’est pas à cause des nuages, la pression atmosphérique est trop élevée pour qu’ils arrivent à gonfler dans l’atmosphère. Ce n’est pas non plus à cause de l’heure actuelle : le cycle commence à peine. Non, il y a quelque chose de différent dans ce qui m’entoure.

Repassons les événements derniers. Pendant ce cycle, alors qu’il faisait toujours noir, j’ai senti une secousse. Probablement un mammifère et ses turbulences, qui n’a probablement rien à voir avec la lumière aujourd’hui. A moins d’un événement majeur ? Parfois, ils se mettent à gronder, ils font chanter le métal et le carbone, et ça vibre de partout, jusqu’au bout de mes racines, et j’ai l’impression que je vais me détacher de ma propre tige, et ça n’en finit plus, mais quand ça finit par finir, parfois, oui, la lumière change. Alors on se rend compte qu’il manque un Grand, et son chant hurle le silence pendant des dizaines de cycles par la suite.

Pourtant, l’air n’a pas changé. Aucune signature n’a disparu dans la chorale aérienne du pollen.

Remontons plus loin dans ce cas. Deux cycles plus tôt, il est arrivé quelque chose. Un message, par le mycellium. Alarmant, vibrant de douleur et de peur. Trop d’eau, sous les roches froides au nord. Elle s’accumule, et on est malade, d’autres champignons s’insèrent prématurément, opportunistes. On n’était sans doute pas si pressé de nourrir les futurs, mais la moisissure n’attend pas, elle s’infiltre et elle prend, elle fait son travail sans écouter les protestations. Ce surplus d’eau peut-il être à l’origine de ce changement de lumière ? comment ? Il me semble qu’elle devrait plutôt être plus abondante, la lumière. Si on meurt, ça laisse de la place. Et puis, d’où est-ce qu’elle viendrait cette eau ? Il y avait bien quelques nuages, il y a deux cycles, mais impossible que ces voiles subtils jettent la moindre goutte d’eau. Encore plus impensable qu’ils causent une inondation. Encore les mammifères, alors ? Ils en seraient bien capables. Mais ce n’est pas important, pas pour le moment. Ça n’explique pas ce changement.

Une caresse, soudaine. Inhabituelle. Alors c’est sûr : il y a quelque chose à côté de moi, quelque chose qui ne s’y trouvait pas hier. Et j’ai peur de comprendre.

*

C’est par en dessous qu’il fallait commencer. Si on se montrait trop affamé, on vous étouffait. Une extension de feuille par ci, une sécrétion un peu acide par-là, un nœud tout près de ce caillou, et voilà, la succession avortée. Il fallait attendre son tour, attendre patiemment. Mais une fois émergée, on ne pouvait tout de même pas retourner sous la terre ! Non. Il fallait se montrer sournoise, alors. Ne frapper que pour le coup de g couteux, et guider l’alliée involontaire. La mère allait se sentir menacée, sévir. Les racines assassines allaient s’étendre, puis étouffer, rapidement, la menace. Déplacer les représailles plus loin, pendant que j’en profitais pour ouvrir ma feuille un peu plus grand. Il fallait toute la lumière possible, aucun excédent dans cette bataille. Prendre la place qui me revenait.

*

Je ne voulais même pas de graines. Comment ça a pu arriver sans que je le décide ? Est-ce un insecte qui a décidé de me voler mon pollen, pourtant si bien retenu, si bien compacté ? Qu’est-il donc venu chercher sur mon unique feuille, qu’est-ce qu’un insecte peut-il donc trouver à une pousse qui n’a rien demandé à personne ?

Non, ça ne peut pas être à cause des graines. Je m’en serais rendue compte. J’aurais su. Tout comme j’ai su que mon pollen était sur le point d’être mature, et que j’ai retardé autant que j’ai pu son émergence, et puis quand il a fini par voir le jour, il était compressé en une boule inodorante et dure. Pas moyen que la patte velue d’une abeille étourdie ne vienne me la prendre. Pas de graines, donc. Pas de progéniture.

Mais on dit qu’il y a d’autres moyens. On dit qu’on peut toujours s’étendre, gagner du terrain, que là où il y a de la lumière, il y a de la place. Même seule. On parle de division, de double de soi.

Ne me sentais-je pas plus ample, dernièrement ? Par en-dessous ?

Ces mots, encore.

*

La mère avait compris trop tôt. Bien trop tôt. Les racines étaient déjà prêtes, la manœuvre d’encerclement déjà réfléchie. Forcément. La loi du plus fort, ici-bas, elle a sans doute tenté le même stratagème que moi contre sa propre mère. Il fallait se battre plus fort. Utiliser ce que j’avais qui lui faisait défaut : la force du désespoir. Sécréter les odeurs, attirer les prédateurs. Se montrer appétissante, naïve, laisser deviner une tige encore jaune et souple, tendre, gorgée de sève sucrée, puis se ramasser sur soi et attendre que les mandibules se referment, que les tubes digestifs aspirent la sève, et compter sur la force vitale de la jeunesse pour se relever plus vite.

Ils n’ont pas tardé, les suceurs et les mordeurs. Et, enchevêtrées comme nous l’étions, Mère et moi, ils nous ont confondues. C’est inscrit dans la Mémoire, toutes les herbes savent qu’il y a des odeurs qu’on doit cacher, des insectes qu’on ne doit surtout pas attirer. Eh bien voilà pour l’instinct, les prédateurs ont été mon arme.

*

Il me semble pourtant que mon temps n’est pas terminé. Le tour de ma fille n’est pas venu, il n’aurait jamais dû venir ! Mais je dois me rendre à l’évidence. Je me suis reproduite. Une de mes racines s’est un peu trop éloignée, elle s’est crue différente, elle s’est donné une identité. Elle a écouté les Mémoires, elle a cru qu’elle aavait le droit d’y ajouter sa voix, elle a entendu dire qu’un jour, son tour viendrait, qu’il fallait être patiente, mais qu’il fallait surtout savoir choisir le bon moment pour ne plus attendre. Elle y a cru. Et elle s’est dotée d’une tige, puis d’une feuille.

Je me souviens de cette lutte. Je me rappelle avoir deviné qu’un jour, je la vivrais en tant que Mère. Mais je ne croyais pas que ça viendrait si vite. Je pourrais encore compter les cycles qui me séparent de ce moment où j’ai su que je devais saisir ma chance.

Et pourquoi faut-il absolument prendre la place de quelqu’un d’autre pour avoir la sienne ? N’y aurait-il pas moyen de partager la lumière ? Après tout, je n’ai pas besoin d’aussi grandes quantités. Je pourrais partager : Je n’ai pas, comme les Grands, de fruits à produire, je n’ai pas cet appétit insatiable qui me pousserait à étirer des branches infinies vers le ciel. Je n’ai pas besoin d’une écorce pour me protéger et pour compter les cycles, je peux me laisser bercer par le vent et la pluie, je peux m’affaisser sous le pas des mammifères, alors pourquoi ne pas accueillir ma fille avec générosité ?

Mais elle ne m’écoutera pas, je le sais. Ai-je entendu ma mère, moi ? Je ne sais même pas si elle a tenté un rapprochement, je n’ai pas prêter attention à elle car je ne m’attendais qu’à des cris de peur ou des protestations outrées. Je dois communiquer. Trouver une façon de manifester mon désir de partage. Lui faire une offrande ? Elle y verra un piège empoisonné. Tenter le hurlement odorifère pour attirer son attention ? Elle croira être sur le point de gagner et redoublera d’effort. Je le sais : je suis elle.

Il faut se replonger dans l’âge des premiers cycles. Il faut la rejoindre, et non me contenter de l’attendre. Et ce qui émerge, ce qui s’agite dans les profondeurs de ma petite Mémoire, mais aussi dans celle, immense, de toutes les Mémoires, c’est la peur. La peur de s’éteindre avant même d’avoir eu la chance de goûter son premier rayon de soleil. Avant d’avoir pu attirer ses racines. La peur de n’avoir pas le temps de vivre avant de s’offrir aux champignons.

Alors je sais quoi faire. Je me plie, je m’oriente de façon à glisser entre les rayons de lumière. Je cède. J’offre. Pas un partage de sève, pas de sucs qui pourraient laisser croire à la traitrise. Non, j’offre la lumière, celle que j’ai prise à ma Mère.

Je suis persuadée que ma fille se jettera dessus sans hésiter. Et qu’elle tentera de me prendre ce que je ne lui offre pas. Mais je vais calmement la repousser et attendre qu’elle se calme et qu’elle comprenne.

Je crois qu’à sa place, je m’interrogerais sur les raisons de cette absence de résistance. Et je crois qu’à ce moment il y aura le silence. Le silence curieux, anxieux, qui protège ce qu’on ne connaît pas. Et alors, peut-être, pourrons nous grandir ensemble.

 

 

 

 

 

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A propos de Mia-

Membre du Club depuis 2005, Magali participe au comité de lecture d'AOC et s'occupe activement des matchs d'écriture, qu'elle colporte dans plusieurs festivals dédiés à l'imaginaire. Accessoirement, redoutable mouche du coche professionnelle :)

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