Enfin le nouveau roman de SF cyberpunk de Richard Morgan, douze ans après Black Man – et qui se déroule dans le même univers ! De fait, cela valait le coup d’attendre.
Hakan Veil, ex-Nettoyeur, survit sur Mars comme exécuteur des basses œuvres, garde du corps ou simple gros bras, depuis que la société de sécurité interplanétaire à qui il appartenait l’y a abandonné. Il reste néanmoins câblé pour la violence, et soumis au mode de vie particulier pour lequel on l’a « fabriqué » : il est un « hib », obligé d’hiberner quatre mois par an.
Il dort dans une zone misérable de la Vallée, couverte par la Lamina, une barrière énergétique qui assure un semblant d’« air raréfié » à la population martienne. À son réveil, son corps « chauffe » – il a besoin d’action et de violence, son métabolisme amélioré tourne en accéléré – et il peste contre les mouches-code qui ne cessent de lui injecter les mises à jour indispensables à la survie sur Mars, qui est encore la Nouvelle Frontière, bien que colonisée depuis deux-trois siècles.
L’ambiance est électrique : une navette vient d’arriver de la Terre avec à son bord une grosse équipe de la LINCOLN, chargée de mener à bien l’audit « de la qualité des services mis en place pour le bien des citoyens sur Mars ». Autant dire que les jours du gouverneur corrompu Mulholland sont comptés, et que le préfet Sakarian et toutes les forces de police de Bradbury (la capitale) sont sur les dents, car les Martiens et surtout les bouseux des Uplands (territoires plus sauvages, éloignés de Bradbury) voient d’un très mauvais œil l’ingérence terrienne dans leurs affaires.
Veil à peine réveillé se fait coffrer par la lieutenante Chakana pour le meurtre d’un criminel. Mais elle se voit obligée de lui confier la protection rapprochée de l’auditrice terrienne Madison Madekwe, chargée de l’enquête sur la disparition d’un jeune délinquant qui venait de gagner à la loterie son voyage de retour sur Terre, car celle-ci veut aller dans les Uplands.
Richard Morgan nous plonge dans un monde très riche et cohérent, un décor symbolique à l’horizon bouché par les immenses falaises qui bornent le grouillement de vie humaine. Dans cet avenir, l’humanité a essaimé dans le système solaire, sous la férule de la LINCOLN, une grosse structure privée qui impose sa loi, celle des affaires, qui règne en maîtresse absolue sur tout le système, gangrené par la corruption. Tout le monde est hyperconnecté, mais au fond, l’humanité améliorée n’a pas changé, et l’auteur nous la dépeint sans illusion à travers le regard de Veil.
L’intrigue et l’action sans temps mort nous accrochent, tandis que l’on s’attache aussi bien à Veil qu’à Chakana, Madekwe ou même à certains personnages secondaires, comme le cyborg Holmstrom ou la voisine de Veil, la danseuse Ariana. Ce roman raconté à la première personne nous montre comment les « petites gens » se font manipuler et écraser par les grosses sociétés qui ne pensent qu’au fric et au pouvoir.
Chacun se retrouve pris dans la nasse d’intérêts divergents et tente de sauver sa peau comme il peut. Veil est peut-être juste le mieux équipé pour cela. Bref, on retrouve dans Thin Air tous les ingrédients qui ont fait le succès des précédents titres de Richard Morgan, mais avec un univers et des personnages secondaires bien plus élaborés. Un vrai plaisir !
Chronique de François ‘767’ Manson