Le mercenaire Sidoine de Valzan, dit La Hire, est chargé par la duchesse Yolda d’Argal de trouver Jehanne, une prophétesse censée remettre le Dauphin sur le trône de Falatie. Cependant, poussé par l’appel de la chair, La Hire s’arrête dans le village d’à-côté et y assouvit ses besoins naturels avec une prostituée, Oriane. Seulement voilà, le lendemain, lorsqu’il se rend au village de Domfroy, il constate que celui-ci a été ravagé par une bande de bhargoests, et que Jehanne n’est plus. Il décide alors de remplacer celle-ci par Oriane, la catin…
C’est peu de dire qu’après le très réussi Les Yeux d’Opale, j’attendais avec une certaine impatience le nouveau roman de Bénédicte Taffin. C’est sous le pseudonyme transparent de Benedict Taffin (pour sa littérature « adulte ») que l’auteure nordiste nous revient enfin avec un roman fantasy aux allures pseudo-historiques. Et c’est là que le bât blesse. En effet, cette histoire de Jehanne la prophétesse qui doit remettre le Dauphin sur le trône et aider à bouter l’ennemi hors des frontières du Royaume, ça nous rappelle forcément quelque chose. D’ailleurs, dans une courte postface éclairante, l’écrivain nous explique ce qui, dans l’histoire de notre pucelle nationale, l’a poussée à s’interroger sur cette histoire qui a fait l’Histoire. Seulement, en faisant mourir dès les premières pages sa Jehanne, Benedict Taffin aurait pu faire le choix de l’uchronie, et ainsi nous donner à voir les bouleversements d’un tel évènement. Ç’aurait pu être très intéressant, mais cela n’a pas été le choix de l’auteure.
À la place, Benedict Taffin a préféré se lancer dans une Fantasy pleine de bruit et de fureur. Choix respectable s’il en est, même si là encore on aurait pu s’attendre à une réinterprétation totale de l’Histoire (du moins telle qu’on nous l’a apprise dans les manuels scolaires). Bien au contraire, l’auteure a choisi de suivre à la lettre (ou presque) les faits historiques tels qu’on les connaît (là encore : ou presque). C’est bien cet entre-deux que j’ai trouvé agaçant dès les premières pages de ma lecture. Autre petit détail qui déstabilise au début, tous les noms propres ont été changés, et il faut réaliser une petite gymnastique intellectuelle afin de les resituer…
À présent que les choses qui fâchent ont été balayées, passons à tout ce qui fait de ce roman un pur bonheur de lecture. Tout d’abord, il y a l’écriture de Benedict Taffin. Dans ma chronique des Yeux d’Opale, j’avais déjà pu dire à quel point son style était splendide, fluide à souhait. Ici, l’impression positive ne se dément pas. J’ai même trouvé la forme de celui-ci nettement supérieure à celle du précédent. À aucun moment on ne bute sur une phrase mal tournée, ou tellement alambiquée qu’elle en devient incompréhensible. Je me suis même surpris à relire certains courts passages tellement ils étaient beaux. Ces scènes de batailles sont superbement bien menées, plongeant de façon incroyable le lecteur au cœur des combats, au plus près de ces hommes (et de cette femme !) partis à la reconquête de leur royaume. De la première à la dernière page de ce roman (qui en compte un peu plus de 300), le lecteur se trouve pris dans le tourbillon. Et même si, comme je le disais en première partie de cette chronique, il m’a été un peu pénible au départ d’essayer de retrouver les véritables noms (de villes, de personnages historiques) derrière les noms donnés par l’auteur (Domfroy pour Domrémy, Ortillan pour Orléans, Rotomagne pour Rouen, etc.), j’ai fini par m’y faire, et ma lecture ne s’en est trouvée que plus agréable.
Le lecteur suit l’ensemble des événements par le biais de l’un des personnages principaux, La Hire (en fait, ce surnom est aussi celui du personnage historique qui, semble-t-il, a inspiré Benedict Taffin, c’est-à-dire Etienne de Vignolles). Personnage truculent s’il en est, Sidoine de Valzan recèle, au propre comme au figuré, un terrible secret. En effet, un redoutable démon l’habite, et seule la puissance magique d’une perle parvient tant bien que mal à le faire rester à sa place. J’ai trouvé cette complexification (qui relève presque de la schizophrénie) du personnage très intéressante. Et malgré le risque pour la compréhension d’une telle mise en place dans l’écriture, je trouve que l’auteure s’en est très bien sortie.
En conclusion, vous l’aurez compris, malgré mes petites réserves en première partie, j’ai beaucoup aimé ce roman. Sans aucun temps mort, Benedict Taffin emporte son lecteur dans le bruit et la fureur de cette pseudo-guerre de cent ans qui n’a absolument rien de factice. On y est, on a mal pour nos héros qui souffrent, on suffoque avec eux, on s’aime aussi parfois… Bref, tout ce qu’on demande à un roman où les situations héroïques et la Fantasy se mêlent intimement, avec une pointe d’érotisme jamais vulgaire, quoiqu’un peu empli de violence parfois (on est au Moyen-Âge, que diantre !).
À lire donc de toute urgence ! D’autant que vous pourrez admirer la splendide couverture d’un Pascal Quidault vraiment très inspiré !