Votes pour le match d’écriture des Utopiales 2017 : « Une semaine en 23 jours »

Une semaine jupitérienne ? Les éphéméride d’une autre planète ? Un traitement spécial sur les humains pour pouvoir travailler pendant 21 jours d’affilée ? Qu’auront-donc trouvé nos auteurs pour se sortir de ce thème épineux…

  • Dis-moi quand tu es
  • Seize jours de trop
  • Une semaine en 23 jours
  • 21 jours de transit
  • Courir dans le vide
Contrainte 1
Un elfe bête et méchant
Contrainte 2
Une prison sans porte

DIS-MOI QUAND TU ES

Dans le petit matin frais d’octobre, Max attendait sagement dans la file que le sas d’entrée s’ouvre. La tête déjà dans les étoiles, il savourait à l’avance le plaisir que cette  convention de SF interplanétaire allait lui procurer. Manifestement, le coup d’envoi tardait. Les vigiles-bots n’avaient pas encore été activés. Les fans étaient obligés de ronger leur frein pendant encore quelques minutes, bien trop longues. Le temps s’étirait. Si près du but, les instants devenaient de longues heures.

Les artistes, eux, filaient à l’intérieur par l’entrée qui leur était réservée. Max constata avec plaisir que l’un de ses écrivains virtuels favoris signait déjà quelques phrases holographiques. Il résista à l’envie de se mêler à la foule de ses followers. Il le verrait plus tard. Il ne voulait pas perdre sa place dans la file d’attente. La convention durait une semaine entière. Il aurait tout le temps de profiter des attractions et du plaisir de la lecture interactive de science-fiction. L’un des ateliers proposé cette année reposait sur la toute dernière technologie à la mode : le voyage dans le temps. Il s’y était inscrit.  Il ne pouvait pas rater un tel événement. Un tout petit voyage, bien sûr, avec seulement quelques heures de décalage vers l’avenir, mais ce petit saut de puce représentait un bond pour l’humanité.

 Max se doutait que la plupart des participants attendaient eux aussi la possibilité d’expérimenter cette fabuleuse machine mise à la portée de tous pour l’occasion. Mais il serait l’un des premiers à vivre cette aventure d’un nouveau genre.

Le sas d’entrée émis enfin le chuintement tant attendu. Les androïdes d’accueil commencèrent à faire défiler les badauds. Elles imprimaient avec application le tatouage semi-permanent fluorescent qui allait permettre aux participants d’entrer et de sortit à leur guise du palais des congrès pendant une semaine entière. Une semaine ! Les yeux de Max brillaient d’excitation.

Une fois les contrôles passés, il dépassa un groupe d’adolescents aux oreilles pointues  qui exprimaient bruyamment leur joie. Les jeunes elfes le virent filer vers le caisson temporel sans même qu’il ne prenne la peine de jeter un coup d’œil aux expositions ou aux stands de lecture interactive que pourtant il adorait. Il en bouscula légèrement un, s’excusa vaguement mais ne prêta aucune attention aux paroles, sans doute malveillantes du jeune. Ce que les elfes pouvaient être imbus de leur personne !  La perspective de se déplacer dans le temps, en dehors de tout voyage interstellaire, dépassait de loin les récits fabuleux qui l’avaient tant fait rêver dans son enfance. Il n’attendit pas très longtemps avant d’accéder à l’objet de toutes ses convoitises. D’autres, moins acharnés qui lui, avaient déclaré forfait et avaient préféré s’en aller pour profiter d’autres activités. Le pôle ludique connaissait un vif succès, au rez-de-chaussée et les jeunes humains adoraient jouer le rôle de nains ou d’elfes – et inversement- dans des aventures échevelées menées de main de maître par les Maîtres de Cérémonie. D’autant plus que les nouvelles technologies permettaient de tout ressentir comme si on y était. Mais Max ne voulait plus jouer. Il avait envie de tenter une véritable expérience.

Au moment de son inscription, il s’était quand même posé la question de la dangerosité d’une telle expérience temporelle. Les organisateurs l’avaient rassuré en lui affirmant que rien de potentiellement menaçant ne serait proposé aux participants d’une telle convention dont la renommée interplanétaire n’était plus à faire. Totalement rassuré, il entra donc, le sourire aux lèvres, dans l’immense pièce aménagée pour l’occasion. Il fut surpris de constater qu’une foule assez importante se tenait autour de la machine temporelle. L’expérience était donc publique. Dans le fond, il n’en fut pas étonné : il fallait bien participer au spectacle ! Un petit saut en avant de quelques heures. Rien de bien méchant. Une boule d’angoisse qu’il n’attendait pas lui noua soudain le gorge. Il répondit au sourire bienveillant du scientifique qui l’accueillit. Après tout, ils se connaissaient par hologrammes interposés, ils avaient longuement préparé l’affaire, rien de désagréable ne pouvait lui arriver. En s’asseyant sur le siège aux allures steampunk – pour le décorum-, il vit, en ajustant son casque de transmission, le jeune elfe qu’il avait croisé en début de matinée. Son sourire mauvais ne le rassura pas.  Son instinct lui criait de de prévenir l’ingénieur que quelque chose n’allait pas, mais son envie de tenter l’expérience fut la plus forte. Il se tut.

Il faut toujours se fier à son instinct.

Quand Max ouvrit les yeux, il ne vit rien. Vraiment rien. Le noir total. Il s’attendait à voir la foule qu’il venait de quitter. Plusieurs volontaires devaient lui apporter la preuve que plusieurs heures s’étaient écoulées sur Terre alors qu’il venait à peine de s’asseoir dans la machine… mais rien. Il n’entendait rien non plus, ni ne sentait rien. Cette anesthésie des sens le troubla. Il se frotta les yeux. Rien ne changea. Il se détacha de l’engin, en descendit, et, à tâtons, essaya de palper ce qui l’entourait. La boule d’angoisse, diffuse quelques minutes plus tôt, explosa au fond de ses entrailles et un goût de bile se répandit dans sa bouche trop sèche. L’excitation était retombée, laissant place à une sourde terreur. Où se trouvait-il ? Ou plutôt, quand ?

Il ne put retenir un cri qui déchira le silence oppressant. Une larme incongrue roula sur son visage qu’il supposait blême. Il sentit alors la présence familière et rassurante de son smartphone dans sa poche. Un peu de lumière l’aiderait sans doute à se rassurer.

Ce ne fut pas le cas.

Max constata avec stupeur que la machine se trouvait au milieu de nulle part. Aussi loin que le faisceau de la mini-lampe lui permettait de voir, il n’y avait rien. Rien de rien. Le néant. Une véritable prison sans porte. Le sol et les murs noirs le plongeaient dans un bain obscur, le coupaient de tout sens de la réalité. Heureusement, il restait la machine.

Il entreprit de l’inspecter pour éclaircir le mystère de sa situation. Ce qu’il constata lui fit dresser tous les poils de son corps et un lourd sanglot manqua de l’étouffer. Ce n’était pas possible ! Tout simplement délirant !  En dehors du siège qu’il venait de quitter, un seul cadrant indiquait… qu’il avait fait un saut temporel de trois siècles ! Le contrat d’essai stipulait trois heures. Rationnellement, les techniques du XXIIe siècle ne permettaient pas un tel exploit, ou plutôt, une telle misère. Car c’en ait une. S’il se trouvait au même endroit, mais trois siècle plus tard, qu’était devenu le Palais des Congrès ?

Tout ce qui l’entourait ressemblait à s’y méprendre à un caisson destiné à anesthésier tous les sens. Lorsque la batterie de son smartphone rendrait l’âme, il se retrouverait dans le néant, seul, effrayé, affamé et assoiffé. Une mort lente et terrible qu’il imaginait déjà se profila dans les heures à venir.

Et pourtant, il se préparait à une semaine de bonheur. Il y avait de cela quelques heures à peine. Des siècles, en fait. Comment cela se pouvait ?

Il revit le ricanement sinistre du jeune elfe.

Le pressentiment qu’il avait ignoré.

Non, tout cela ne pouvait être qu’une mise en scène. Il n’avait qu’à attendre sagement et tout redeviendrait normal. Les parois noires se soulèveraient et les organisateurs réapparaîtraient. « Nous avons réussi, crieraient-ils, la mise en scène ultra-réaliste d’un voyage temporel ! »

Cette pensée rassura Max. Un peu. Un temps, seulement, qui finit par lui paraître très long. Trop long. Il devait agir : sa batterie ne serait pas éternelle.

Il entreprit de visiter les lieux, qu’il considérait désormais comme sa cellule. Aucune porte, à première vue. Il tenta de s’approcher de l’un d’eux pour peut-être trouver un mécanisme invisible mais ces derniers ne se laissaient pas approcher. Ils reculaient.

Max finit par trouver dans un coin, ou plutôt, quelque part, puisque les lieux ne possédaient aucune forme géométrique identifiable, une goutte en plastique remplie d’eau et quelques pilules dorées. Assoiffé, il ne put résister. Il se méfia des pilules malgré sa faim. Son horloge biologique lui indiquait à présent que de nombreuses heures s’étaient écoulées. Les indications de son smartphone ne lui furent d’aucune utilité : tout avait disparu en dehors de la fonction d’éclairage, laquelle n’allait pas tarder à s’éteindre définitivement.

Son seul salut résidait dans la machine. Il était désormais convaincu qu’il ne s’agissait pas d’une mise en scène. Tout était donc vrai, et vraiment désespéré !

Max retourna donc vers l’unique cadran. Il l’observa longuement. Se pouvait-il que ce soit aussi simple ? Juste bouger une aiguille et retourner là – plutôt quand- d’où il venait ? Était-ce possible de retourner dans le passé ? Techniquement, non. Les expériences scientifiques avaient prouvé qu’il était possible d’avancer mais pas de reculer, même si pour lui, l’enjeu était de retrouver son propre temps et non de retrouver de mythiques épisodes historiques si chers aux auteurs de SF  ou de fantasy. Max jouait pour de vrai et ce jeu-là ne lui plaisait plus du tout.

Affaibli, il se vit contraint d’avaler les pilules avec ce qu’il lui restait d’eau. Il se sentit immédiatement mieux, plus fort et en meilleure forme, capable réfléchir à nouveau de manière sensée. Prendre le risque de tripoter la machine restait sa seule option.

Après tout, que risquait-il de pire que de mourir de faim et de soif, seul, dans le noir, privé de tous ses sens ?

Son cœur manqua un battement  quand il déplaça l’aiguille du cadran. Il allait peut-être devoir combattre une armée de Morlocks à son arrivée. Une jeune Eloïs serait plus à son goût…

Il doutait de la pertinence de son acte désespéré mais il appuya néanmoins sur l’unique bouton situé en-dessous du cadran. A ce moment précis, il détestait H.G.Wells.

L’émotion lui fit perdre connaissance quand la machine se mit à briller et à vibrer.

Quand il ouvrit les yeux, il vit en très gros plan  le visage inquiet de l’ingénieur. Il se trouvait dans la salle de la démonstration, mais entièrement vidée de tout public. Il ne restait que deux hommes dont l’un affairé à taper frénétiquement sur les multiples écrans et claviers tapissant le mur opposé. Max était trop sonné pour dire quoi que ce soit.

– Ça y est, il se réveille !

– Pas trop tôt, répondit une voix qui devait être celle de l’inventeur de la machine. Encore heureux qu’il ait eu la présence d’esprit d’actionner le cadran…

– Oui, sinon, il était perdu pour la science !

Ils éclatèrent tous deux d’un rire de soulagement.

– Oui, en plus, ce n’est franchement pas génial, là-bas…ajouta l’ingénieur. C’est flippant !

– Ah, oui, c’est vrai que tu y es allé pendant nos essais…

– Oui, le Palais des Congrès est devenu une prison fédérale dans le futur… l’horreur !

– En tout cas, l’essentiel, c’est qu’il soit revenu…

– Oui, on aura quand même mis vingt-trois jour à le récupérer !

« Une semaine de vingt-trois jours », pensa Max avant de replonger dans un sommeil réparateur.

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