Votes pour le match d’écriture Convention Nationale SF 2016 : « La gravité est plus forte que moi »

« LA GRAVITÉ EST PLUS FORTE QUE MOI »

Euh … on parle d’une fourmi là ? D’un microbe écrasé ? Y’a des trucs à fumer pour pondre des thèmes pareils ?

  • Chronophila
  • Amad
Contrainte 1 Un chasseur de temps

CHRONOPHILA

Déjà midi ! soupire Chronophila en regardant avec effroi la pile de copies à corriger qui refuse obstinément de diminuer sur sa table de travail. Mais à chaque fois qu’elle tend le bras pour s’intéresser à un nouveau devoir, un événement surgit pour l’en empêcher. A croire que l’univers entiers s’est ligué contre elle ce matin. Sa mère tout d’abord, qui tambourinait à la porte dès l’aube pour lui apporter un petit déjeuner survitaminé, et qui a refusé de partir avant que Chronophila ait englouti jusqu’au dernier morceau la salade de fruits frais qu’elle lui avait préparée. Son amie Perdita ensuite, qui l’a retenu au téléphone pendant plus d’une heure avec le récit de ses amours malheureuses. A part le nom de l’homme de sa vie c’était toujours la même histoire et Chronophila a pris l’habitude de continuer à travailler tout en l’écoutant distraitement. Sauf que cette fois-ci le récit présentait des variantes et il a fallu écouter plus attentivement. Ensuite elle a même sacrifié sa pause-café pour rattraper son retard, mais sans résultat.  Toujours le même tas de copies, et dans la pièce à côté le tas de repassage, et dans la cuisine la pile de vaisselle, sans parler de la pile de livres pas encore lus au pied de son bureau. Sa vie se résume à des piles et des tas qui ne font que grandir.

Cling ! Un nouveau message vient d’atterrir dans sa boîte mail. Là aussi les messages non lus ou en attente de réponse s’entassent, mais allez savoir pourquoi elle décide d’ouvrir celui-là.

« Vous avez l’impression que le temps vous manque en permanence » dit le message. Laissez-nous traquer le temps libre  pour vous, et votre vie sera changée ! Notre spécialiste, le docteur Time Ismoney, peut vous aider. Ne perdez plus de temps, contactez-nous. Facilités de paiement sur demande. »

Encore une arnaque, pense Chronophila en composant malgré tout le numéro de téléphone indiqué.

« Notre méthode est simple et révolutionnaire » explique le docteur T. Ismaney quand il la reçoit le lendemain matin pour une première séance sans engagement. « Alors que de nombreuses personnes comme vous manquent de temps, d’autres perdent le leur en procrastination. Nous collectons ces heures perdues et nous les affectons aux personnes qui en ont besoin, grâce à notre super cabine Mutualizater. Il suffit d’un traitement par semaine pour gagner 2 à 3 heures par jour. »

C’est merveilleux. Chronophila a terminé toutes ses corrections du jour, et il lui reste encore du temps pour passer voir Perdita, qui est ravie de voir son amie et de lui raconter ses nouveaux déboires de vive voix.

Après un week-end de rêve au cours duquel elle a eu le temps de déjeuner avec sa mère, aller enfin à son cours de gym, faire ses courses, ranger en grand la maison, aller au cinéma le samedi soir, faire la grasse matinée le dimanche, s’occuper du jardin, Chronophila se prépare à la semaine qui vient avec entrain.

Le lundi matin, comme chaque début de semaine, elle se pèse. Surprise, elle a pris 20 kg ! A peine contrariée elle décide que sa balance a besoin de piles neuves. Evidemment elle n’en a pas à la maison mais pas de problème elle sait bien que son poids n’a pas varié dans de telles proportions, sinon elle ne pourrait plus enfiler ses vêtements.

Chronophila se sent un peu fatiguée quand elle rentre le soir. Il faut dire qu’elle a décidé de faire désormais le trajet à pied, car la marche c’est bon pour la santé, afin de profiter au mieux des nouvelles heures ajoutées à sa journée. Elle est persuadée que tout ira mieux le lendemain.

Les jours suivants, Chronophila se sent de plus en plus lourde. Désormais elle peine à monter les escaliers qui mènent aux salles de cours au premier étage. Et ne parlons pas du cours de  théâtre avec les terminales, installé au dernier étage du lycée. Quelle idée ! Sa balance, malgré des piles neuves, la gratifie maintenant de 25 kg de plus que son poids normal.

Elle aborde le sujet avec le docteur Time Ismoney lors de sa prochaine séance hebdomadaire (elle a souscrit un abonnement annuel pour bénéficier d’un treizième mois gratuit) mais celui-ci balaie ses craintes d’un mouvement de la main. « Votre vie est plus riche et plus dense, une légère fatigue est normale. Il faut laisser à votre organisme le temps de s’habituer. »

Chronophila n’ose pas poser la question qui la préoccupe : la balance de son amie PERDITA indique elle aussi que son poids a augmenté, comme si son corps s’était densifié bien que sa silhouette n’ait pas changé.

Une nouvelle semaine passe. Chronophila n’a plus d’énergie, tout mouvement lui est devenu un calvaire. Quand sa chaise de bureau cède sous son propre poids elle se décide enfin à consulter son médecin de famille.

La balance du cabinet médical lui accorde un poids de 120 kg. Surpris et incrédule, le médecin doit se rendre à l’évidence : c’est comme si Chronophila était constituée non de muscle mais de plomb. Un peu honteuse, Chronophila se décide à lui dire la vérité sur ses séances de Mutualizater. Mais quand le médecin décroche son téléphone pour demander des explications  le Dr T. Ismoney, surprise ! Au lieu de la voix dynamique et enjouée de la secrétaire c’est un message automatique qui répond en boucle : il n’y a pas d’abonné au numéro que vous avez demandé.

En sortant du cabinet médical, Chronophila est trop faible pour faire le trajet jusqu’au centre de traitement. Arrivée chez elle, affalée dans son canapé, elle trouve toutefois la force de faire des recherches sur Internet mais il n’y a plus aucune trace du bon docteur T. Ismoney et de son Mutualizater.

Des semaines de repos plus tard Chronophila a presque retrouvé la santé. Son amie Perdita vient la voir tous les jours, c’est elle désormais qui la réconforte. Plus de piles de copies, une remplaçante a pris en charge les élèves de Chronophila. Et la pile de livres à lire a presque disparu : Chronophila convalescente a tout le temps de lire. Justement elle a décidé de se replonger dans les classiques, et elle entame avec gourmandise « A la recherche du temps perdu ».

 

Contrainte 1 Sur la tombe d’une reine nordique

AMAD

Amad s’arracha à la contemplation du désert rouge qu’il apercevait à travers le hublot. L’atmosphère, selon les indications du condensateur, était respirable : il pourrait sortir avec un harnachement léger, ramasser quelques spécimens végétaux ou géologiques, puis repartir gambader vers Orion, le devoir accompli. Il en était à sa troisième mission, déjà. Il avait étudié cette planète à peine bleutée depuis huit ans dans la meilleure université de la galaxie, accumulant les documents indiquant les traces d’une vie aujourd’hui disparue. Il n’était pas de ceux qui piaffaient à l’idée de partir vers des mondes totalement automatisés, où il n’y avait plus rien à explorer, si ce n’est ses propres limites. Erina, qui partageait son lit depuis quelques temps, ne paraissait pas pressée de revenir à Orion, fascinée par les plaisirs artificiels que lui offrait la lune 24 et qu’elle explorait avec toujours plus d’acharnement.

Il fut surpris de sentir tout son corps partir en avant lorsqu’il posa un pied sur le sol. La chaleur ne pouvait à elle seule expliquer cette sensation de fatigue intense qui paralysait son organisme, au point de maintenir ses yeux fermés. On l’avait pourtant prévenu : il lui faudrait plusieurs heures locales avant de s’habituer à la gravité, terriblement lourde par rapport à celle d’Orion. Il eut furtivement envie de retourner chez lui, d’atteindre dans un saut de dix pieds l’océan qui bordait le bâtiment dans lequel il habitait. On parvenait parfois à se saluer une fois en l’air, à Orion. Il fallait juste éviter les personnes âgées qui n’avaient plus autant d’aisance et qui ne maîtrisaient pas forcément ces acrobaties réservées aux écervelés comme Amad.

Il marcha droit devant lui, après avoir vérifié ses réserves d’eau et de sel. L’environnement correspondait parfaitement aux documents qu’il avait étudiés en cours et qu’on lui avait implantés, par précaution, avant son départ. Les maîtres savaient bien que les archéologues pouvaient perdre tous leurs moyens en débarquant en zone étrangère. On greffait donc des connaissances à l’explorateur, histoire qu’il se sente moins seul.

Dans le cas présent, Amad aurait préféré entendre un de ces chants vénusiens qui faisaient fureur sur Orion ou voir apparaître les douces formes d’Erina, ondulant avec des créatures plantureuses sur des rythmes synthétiques. Mais seules les pages décrivant les caractéristiques physiques de la planète dansaient devant lui. Un plan sommaire indiquait l’emplacement d’une relique dédaignée par l’équipe précédente et qu’il était chargé de ramener chez lui.

Ses pieds devenaient des poids morts qui s’enfonçaient dans le sable rouge ; son grand corps cherchait à se maintenir en équilibre à l’aide de ses membres élastiques. La chaleur devenait intense quand il aperçut les premières plantes, tordues sous le soleil. Le sol lui semblait plus plat, il suffoquait moins. Une masse rectangulaire se profila derrière un bosquet.

Il s’approcha péniblement, laissant des traces profondes derrière lui. C’était une sorte de stèle, conforme à l’image qui lui apparaissait. Des runes alambiquées recouvraient la tombe. Il se pencha sur les inscriptions pour les envoyer vers son traducteur intégré.

« Ci- git la reine Hilde, souveraine de Norvège, morte en l’an 3022 des suites de la grande peste. Elle aima les sources, son royaume et ses livres. »

Qu’est-ce que ça voulait dire ? D’après ses informations, la Norvège aurait dû se trouver bien loin de là, dans une région recouverte de champs d’arbres.

Amad s’apprêtait à soulever la stèle, à moitié déplacée. Il ne s’attendait pas à retrouver la moindre trace corporelle, bien sûr, mais un objet, un bout de tissu auraient constitué une manne pour son équipe. Il fit donc glisser le couvercle en acier et se pencha à l’intérieur.

Un escalier courait le long d’un conduit étonnamment lisse ; Amad hésita un moment, attendant les instructions de sa mémoire. Puis il descendit les trois premières marches, dévala ensuite et se retrouva dans une salle ronde, dans laquelle régnait une agréable fraîcheur.

Une dizaine de corps blancs, munis de quatre membres seulement, s’alignaient au milieu de la pièce. Il refoula sa répugnance et s’approcha d’un des cercueils en verre qui contenait une créature frêle, auréolée d’une crinière flamboyante.

« Danger, Amad, sors d’ici au plus vite », lui souffla une voix inconnue.

Le cercueil s’ouvrait déjà, sous la pression exercée par l’archéologue qui s’y était appuyé, au mépris des consignes élémentaires de sécurité. C’était donc ça, une femme, se dit Amad qui tentait de cacher sa répugnance. Il n’osait avancer vers elle un de ses tentacules, craignant qu’elle ne prenne ce salut pour un signe d’agression.

Hilde regardait la bête sans chercher à cacher sa nudité. Il devait bien faire deux mètres de haut, avait une tête longue surmontée de fines antennes constamment mouvantes. Mais surtout, il remuait ses huit tentacules dans un bruissement d’insecte, illuminant le caveau de lueurs lunaires.

Son plan avait donc échoué. Un de ces mutants nés de la dernière guerre bactériologique avait réussi à échapper aux milices humaines et était chargé de la détruire, elle et ses descendants. Elle n’hésita pas, sauta d’un bond vers le monstre stupidement planté devant elle, un glaive serré dans sa main blanche.

Amad n’eut pas le temps de se retourner pour faire face à la femme. Elle l’atteignit au dos, en plein dans son organe vital. Le Vénusien sentit tout le poids de sa mission s’envoler soudain. Il gambada un moment vers Orion, puis s’éteignit, un tentacule enroulé autour de Hilde.

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