Votes pour le match d’écriture des Imaginales 2018 : « Machine addict »

Personne ne l’avait vu débouler ce thème. Pourtant il est tellement dans l’air du temps. On vous serine à longueur de journée réseaux de neurones, IA, robotique, maisons closes de robots en devenir ? Non je ne suis pas obsédé ! Mais nos auteurs le sont-ils, eux ?!

  • Beautés
  • SIM
  • Le Monde de Machine
  • Les mains dans les poches
  • Elle fait si bien l’amour
  • Mauvais œil et mécanique
Contrainte 1 Un grand magasin

BEAUTÉS

 Maureen entra timidement dans le salon Bellamore. L’atmosphère cossue et rose du lieu l’intimida d’abord mais le sourire immense de l’hôtesse d’accueil la rassura un peu.

— Bonjour madame, lança celle-ci avec une voix plus aiguë qu’elle ne devait être naturellement. Bienvenue chez Bellamore. Puis-je vous renseigner ?

Maureen s’approcha en serrant par habitude son vieux manteau d’une couleur passée autour de ses habits encore plus démodés.

— Et bien, je … enfin voilà.

— Je comprends, dit l’hôtesse, c’est votre première fois chez Bellamore ?

— Oui.

— Alors dites-moi que cherchez-vous ?

Maureen bafouilla, s’excusa, fouilla dans sa tête. Que cherchait-elle exactement ? Ce matin elle était partie de chez elle pour se rendre directement au travail, comme d’habitude. Son mari lui avait adressé un au revoir poli. Sa fille … et bien sa fille était probablement déjà partie. Elle avait fait le même trajet que les autres jours, vu les mêmes visages dans la rue, les mêmes voisins qu’elle avait reconnus mais qui l’avait ignoré. Un matin classique. Et puis elle l’avait aperçu. Elle. Si sublime et gracieuse qu’on aurait dit que l’existence autour d’elle se pliait à sa volonté. Si incroyable que Maureen avait senti soudainement, avec une réalisation glaçante, qu’elle était laide et commune.

— Et bien j’ai croisé quelqu’un qui sortait de chez vous et je me suis dit …. Je pensais que peut-être …

— Vous voudriez essayer, c’est cela ?

— Oui.

Maureen sentit le regard plein de compassion et d’égard de l’hôtesse, avec une pointe de pitié. Terrifiée par la décision qu’elle venait de prendre, elle n’entendait plus vraiment ce qu’elle lui disait et se laissa guider vers un salon au fond de la boutique.

— … cheveux et yeux … couleurs … plus soyeux … vêtements et accessoires.

Maureen réalisa soudainement que l’hôtesse attendait une réponse mais la mère de famille n’avait pas entendu un seul. Elle acquiesça à tout et l’hôtesse la fit entrer dans une sorte de bulle aux parois métalliques.

— La machine va s’occuper de tout. Surtout ne bougez pas. Ça ne prendra pas longtemps mais vous ne devez pas bouger d’un iota.

Maureen se plaça docilement au centre et la porte de la machine se referma sur elle.

Une demi-heure plus tard elle en ressortit changée.

La machine Bellamore l’avait transformée. Ses cheveux d’un châtain clair quelconque étaient devenus d’un brun soyeux avec des reflets violets. Ses yeux étaient du bleu des lagons. Sa peau arborait un teint unifié, parfait, éclatant. Les rides, signes interdits de la vieillesse des femmes, avaient été comblées et son visage avait rajeuni de dix ans. La machine lui avait également passé des vêtements ajustés, aux couleurs éclatantes, des accessoires brillants et assortis.

Jamais elle ne s’était trouvée aussi belle.

Elle régla et sortit de la boutique comme si le monde lui appartenait. Glissa, vola, flotta jusqu’à son travail. Ses cheveux au vent, tenus par la magie de la machine, sa bouche rosie par les produits cosmétiques.

Ses collègues la complimentèrent à plusieurs reprises. Elle s’admira dans leurs regards, dans leurs égards. Elle travailla comme dans un rêve.

Le soir venu elle passa devant un miroir et s’arrêta soudainement. La couleur des cheveux s’estompait vers son châtain d’origine. Son teint se brouillait de gris et les rides réapparaissaient sournoisement.

Sa surprise lui fit échapper un petit cri. Non, elle ne voulait pas arrêter d’être la créature qu’elle avait entrevue.

Elle bondit dans le grand magasin où la boutique Bellamore se situait et ‘l’hôtesse l’accueillit avec un sourire entendu.

— Pouvez-vous ….

— Mais bien sûr madame !

La machine la rendit de nouveau belle, de nouveau fraiche et pimpante, de nouveau visible et elle se détendit.

Commença alors pour Maureen un nouveau rituel. Chaque jour elle passait à la boutique du grand magasin et la machine de Bellamore l’engloutissait pour la rendre au monde quelques minutes plus tard, captivante et éclatante. Elle enchainait les tenues extravagantes, les coiffures complexes, piquées de paillettes et d’accessoires. Elle changeait de couleur de cheveux et d’yeux chaque jour. Sa peau était aussi lisse et unifiée qu’une toile vierge.

Dès qu’un de ses apparats commençait à s’estomper elle quittait l’activité qu’elle était en train de faire et courrait à Bellamore. Plus de couleurs, plus de beautés, plus de somptuosité. Elle voulait retrouver les regards des passants à chaque fois qu’elle sortait.

« Aimez-moi, regardez-moi, adulez-moi. »

Une starlette apparaissait à la télévision avec une nouvelle coiffure ? Il lui fallait la même ! Elle allait au salon de beauté pendant ses pauses de midi pour des retouches, des essais, des changements de couleurs, en fonction des tendances nouvelles, des photos du jour des personnalités sur les réseaux et dans les magazines.

Elle rajoutait une couche, des paillettes, des décors, des tatouages. Encore et encore. Dès que les gens la regardaient moins, la complimentaient moins.

Son mari qui l’avait observé avec intérêt au début lui reprochait silencieusement ces changements et cela exaspéra tellement Maureen qu’elle le quitta. Quant à leur fille, il lui sembla qu’elle se détachait d’elle, d’ailleurs la dernière fois à la sortie de l’école la petite fille l’avait à peine reconnu et Maureen s’était dit qu’elle avait gâché toutes ses années à s’en occuper avec soin en s’oubliant elle-même.

Les réunions, les déplacements à l’autre bout de la ville devenaient des tortures, car Maureen ne savait pas si elle pourrait revenir rapidement faire une retouche si jamais ses lèvres se dégonflaient, ses pommettes s’affaissaient, les rides se devinaient de nouveau. Elle aurait voulu rester près du magasin, vivre près de lui presque, près de la source de la beauté.

Elle oublia des rendez-vous, écourta des réunions, loupa des promotions. Mais cela lui importait peu : elle cherchait toujours la beauté, encore sa beauté, comme une quête éternelle.

Mais bientôt elle ne fut plus satisfaite. Les formes de nez proposés par la machine Bellamore ne lui convenaient pas. Elle avait essayé toute la palette de couleurs des cheveux, toutes les lentilles pour les yeux. Les coiffures et les habits des stars lui paraissaient ridicules. Elle cherchait quelque chose. Quelque chose d’autre ! Sa beauté.

L’hôtesse de Bellamore devenait livide quand elle la voyait entrer, tellement elle ne savait plus quoi lui proposer de nouveau. Maureen entrait dans une rage folle, accusait la machine, le personnel, les stylistes. Et pourtant elle ne pouvait pas s’empêcher de revenir. Encore et encore.

Un matin, elle entra furieuse dans la machine après avoir rabroué violemment la jeune opératrice. Elle lui avait dit tout ce qu’elle pensait d’elle et tout ce qu’elle avait sur le cœur. Dans la cabine ronde, en attendant que la machine fasse son œuvre elle fulminait encore. Soudainement elle se rappela une chose qu’elle avait voulu dire à l’hôtesse sans en avoir eu le temps. De rage elle tapa du pied au moment où la machine lui passait une chaussure. Celle-ci voltigea dans le panneau latéral et soudainement un crissement strident se fit entendre. Maureen fut saisie par les bras invisibles qui d’habitude l’habillaient avec délicatesse. La poudre vola, les pinceaux et autres rayons et scalpels se lancèrent dans un ballet désorganisé. Elle tenta de hurler sentant sur sa peau les milles brûlures des aiguilles de microchirurgie.

Enfin, l’hôtesse ouvrit la porte et la sortit de là avec un regard d’horreur. Maureen se tourna vers le miroir qui se trouvait juste à la sortie de l’appareil et vit un chaos sans nom sur son visage et son corps. Des cheveux hirsutes de dix couleurs différentes, des tatouages ratés, des habits en lambeaux.

— Oh madame, je vous prie de m’excuser … je.

— Assez, hurla Maureen ! corrigez ça immédiatement.

— Bien sûr, madame.

Elle fut conduite dans une autre pièce et entra dans un autre appareil.

— Nous allons rattraper tout ça, dit l’hôtesse d’une petite voix tendue.

Dans la pièce Maureen ferma les yeux et resta immobile, tentant de se calmer pour laisser la machine travailler en paix. Quand elle sortit l’hôtesse se trouvait toujours là, pâle comme un linge. Elle lui désigna le miroir d’un petit mouvement de main.

Maureen s’en approcha et en eut le souffle coupé.

Elle était splendide. Fraiche, ravissante. Le visage d’une femme décidée tout en étant apprêtée. Toute sa colère disparut soudainement et elle se tourna vers l’hôtesse.

— C’est … magnifique ! Quelle couleur est-ce que c’est sur mes cheveux ? Et ma peau ?

La jeune femme la regarda interloquée.

— Alors ? relança-Maureen.

— Et bien, madame … rien.

— Comment rien ?

— Rien. Il n’y a pas de coloration ou d’apparat. C’est juste … vous.

Maureen s’approcha un peu plus et elle se reconnut alors. Un visage commun, oui c’est ce qu’elle pensait avant. Mais elle vit en lui les traits de sa mère. Un souvenir d’enfance. Un jeu sur la plage auquel elles avaient joué sous le parasol leurs visages proches l’un de l’autre. Elle voyait aussi son père dans ses traits, dans ses yeux surtout. Elle parcourut la peau de son cou avec la pulpe des doigts. Ses fines taches de rousseurs que Maureen détestait mais qu’elle léguait à sa fille à qui elles allaient si bien. Une origine et un avenir sur son visage et son corps. Des choses qu’elle avait oubliées. Une personne plutôt. Elle-même. Belle, non pas pour ses traits mais pour la vie qu’ils portaient.

— Madame ? Madame ?

— Oui excusez-moi, dit Maureen. Je ne vous écoutais pas. Qu’avez-vous dit ?

— Souhaitez-vous retourner dans la machine maintenant, pour réappliquer du maquillage et des accessoires ?

Maureen ouvrit la bouche, se tourna de nouveau vers son reflet dans le miroir. Elle était belle. Oui. Pour elle. Son regard glissa vers la porte du magasin, vers le dehors et les autres. Mais pour eux ? Que serait-elle ? Ses yeux volaient de l’un à l’autre, de son visage au monde qui le jugerait. Elle avait retrouvé sa beauté, et elle en était heureuse mais elle n’était pas sûre que cela serait assez.

 

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One comment

  1. Alexandra Bertrand

    Rigolo car aucun des textes n’est allé dans la direction à laquelle je m’attendais !

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