« Les temps sont durs ? Changez-en ! ». En 2062, ce slogan fleurit sur tous les murs ; le voyage dans le passé est une réalité, et le tourisme temporel une affaire en or. D’autant que les voyageurs peuvent s’ébattre à leur aise, à l’époque de leur choix, sans crainte de générer le moindre paradoxe : en effet, les singularités de la physique quantique font qu’un même moment peut exister en plusieurs exemplaires, et on peut bouleverser à loisir le passé sans modifier le présent d’un iota.
L’année 2062, de son côté, ne présente pas un visage plus serein : Voltaire fait un tabac dans les émissions satyriques télévisées, le Christ s’oppose violemment en public à son alter ego plus jeune sur des points de doctrine, l’économie explose du fait de l’importation d’individus et de matières premières venus du passé.
Comme si cela ne suffisait pas, Owen Vannice, un jeune milliardaire trentenaire aussi candide qu’un enfant de dix ans, croise un couple d’escrocs alors qu’il est immobilisé dans un hôtel du Jérusalem de l’an 40 en compagnie d’une jeune dinosaure nommée Wilma. Cette rencontre entraînera bien des scènes hilarantes, et sera lourde de conséquence pour un futur et un passé déjà très perturbés…
Ce roman, plaisant et divertissant de bout en bout, est composé de scènes drôles ou émouvantes, généralement très réussies, que ce soit dans le genre de la reconstitution historique, du marivaudage ou de l’humour. Et pourtant, il ne convainc pas tout à fait. Le mélange des genres tragique et comique, toujours délicat, lui est préjudiciable.
L’intrigue principale, une comédie sentimentale placée sous l’égide de Franck Capra, Georges Cukor et autres maîtres du genre, est parfaitement réussie : le casting est exemplaire, les dialogues brillantissimes, l’histoire aussi drôle que séduisante.
Le problème, c’est qu’elle cohabite avec l’histoire tragique et tordue de Simon, le disciple de Jésus qui a tout perdu : son maître, sa femme, son fils, et son dieu. Ce personnage secondaire torturé possède une telle présence qu’il vole la vedette aux autres au milieu du livre, dans une époustouflante scène de procès, qui évoque Dostoïevsky.
Par ailleurs, l’auteur n’a pas le temps d’explorer les conséquences de son postulat de départ, économique notamment : que devient un monde qui puise l’essentiel de ses ressources, tant humaines que matérielles, dans le passé ? Qui trop embrasse mal étreint…
Qu’on ne se méprenne pas : « L’Amour au temps des dinosaures » est un bon roman malgré ses lacunes. On en veut simplement à l’auteur, manifestement plus doué que nombre d’illustres collègues, de ne pas en avoir écrit un excellent.
Chronique de Eric Modena
Editeur | Denoël |
Collection | Lunes d’encre |
Auteur | John Kessel |
Pages | 344 |
Prix | 21,50€ |