Rencontre avec Mireille Rivalland – les éditions L’Atalante

Réalisé par François Manson lors des Utopiales 2024

Présences d’Esprits : Quelle est la place de L’Atalante dans le paysage SFFF français ? 

Mireille Rivalland : L’Atalante est une des rares maisons totalement indépendantes d’édition de science-Fiction, cette singularité est fondamentale pour nous. Nous avons aussi été nommés meilleur éditeur européen en 2020, lors de l’Eurocon, et c’est une vraie fierté : cela récompense la qualité d’un catalogue et une histoire. Réussir à être une entreprise qui fournit les salaires de huit personnes avec une librairie deLes éditions nantaises de L'Atalante soixante-dix mètres carrés et une maison d’édition qui publie vingt inédits par an, et ce depuis une quarantaine d’année, est une vraie gageure. L’ambition est de choisir à cent pour cent ce que nous publions. Plusieurs personnes se sont succédées au poste éditorial au fil des décennies, mais les choix ont toujours été faits à plusieurs. 

 

PdE : La ligne éditoriale ? 

R. : On a très peu de collections. À l’origine, il y a « La Bibliothèque de l’évasion », que Pierre Michaut a créée à la fin des années 1980, avec des « mauvais genres » tels que le polar, des romans d’aventures historiques et de SF. On voulait mettre tous les genres romanesques ensemble, faire des passerelles entre les différentes facettes de la littérature populaire.

L’Atalante, c’est « le romanesque dans tous ses états » avec, à chaque décennie, des cheminements sur des chemins de traverse, qui sont le fruit de belles rencontres. J’ai successivement partagé le suivi de collections de théâtre (« La Chamaille ») et de science humaines (« Comme un accordéon ») avec des spécialistes de ces domaines : des expériences riches et chronophages, mais qui valaient la peine . On a lancé une collection de BD au milieu des années 2000, qui nous a permis de publier une œuvre qui a fait date : La Brigade chimérique. Nous espérons voir aboutir son adaptation cinématographique sous peu, grâce au travail acharné de Sacrebleu Productions.

La collection La Chamaille est consacrée au théâtre

On a vraiment fait, au fur et à mesure, ce qu’on avait envie de faire, mais le soleil n’arrivait pas sur toutes les graines ni toutes les plantes, ce qui est extrêmement frustrant. Quand cela ne marche pas, on est très contrarié. Quand cela marche, ça prend toute de la place et ça demande du travail. Rien ne roule tout seul ! Cela dit, je trouve que démarrer une boite, il n’y a rien de mieux dans une vie professionnelle. C’est la liberté de se tromper et de laisser place à tous ses désirs. 

Au bout de quelques années, la quantité de livres publiés, et surtout l’entretien du fonds, nous a conduits à être plus nombreux, et la gestion d’entreprise a pu prendre le pas sur l’éditorial : on en a fait notre miel et le deuil d’une forme de légèreté. Pour échapper au risque d’être mis en danger par les départs d’actionnaires, nous sommes passés en Scop en 2012. Nous pratiquons, en matière d’entreprise, depuis 35 ans le chemin de crête de la croissance lente et durable. 

Nous publions une vingtaine d’inédits par an ; on a essayé de faire plus, on s’est permis d’avoir des envies, et on s’est rendu compte au début des années 2010 que c’était trop pour nous. On est des artisans. On aime faire les mises en page, trouver comment illustrer les couvertures, passer du temps dans les textes, défendre chaque sortie en librairie : ce temps-là doit être mesuré à une production et sa rentabilité. 

 

PdE : Comment en es-tu venue à l’édition ? 

R. : Par pur hasard. En 1989, je rencontre Pierre Michaut qui venait de décider de se consacrer à l’édition – il avait embauché un libraire pour le remplacer en boutique. Moi, j’étais prof remplaçante de philo, sans réelle stabilité personnelle et professionnelle. J’ai pris le train en marche, et ça a duré. La SF m’a, à plusieurs reprises, sauvé la vie. J’ai commencé à en lire assez tardivement, à la vingtaine, mais cela croise mes intérêts profonds. La SF a été une forme de révélateur, et Pierre Michaut s’est trouvé au bon moment au bon endroit. Une maison d’édition, cela correspondait finalement à ce pour quoi j’avais été formée – des études de philo et de lettres classiques, tout en étant très intéressée par les sciences. Je n’avais pas imaginé ce métier et j’avais tout à apprendre, mais je me suis très vite sentie « pas à ma place ».

 

PdE : Quelle est l’organisation de l’équipe ? 

R. : Les auteurs, les illustrateurs, les traducteurs, les graphistes sont externes à la structure, et à l’interne nous sommes huit, dont un libraire, le devenu incontournable Mathieu Betton dans le paysage des librairies de l’imaginaire. Comme dans toutes les petites structures, personne n’exerce de fonction unique. Nous sommes trois à l’éditorial : Yann Olivier, Oriane André et moi-même, mais notre rôle ne se résume pas à choisir des textes et discuter avec les auteurs. Nous faisons des contrats, des plannings de travail ; nous surveillons les stocks, décidons des tirages ; nous organisons aussi des tournées en librairie, faisons le suivi des salons où sont invités les auteurs – tâches qui pourrait nous valoir d’être embauchés à la SNCF. Il y a le département numérique, dont s’occupe Emma Chabot, en plus de la communication, qu’elle partage avec Naomi Arbert, qui donne aussi un coup de main en librairie… S’ajoutent Lionel Perraud à la comptabilité et aux droits d’auteurs, mais qui, avec le temps, a aussi pris en charge la relation avec les agents, et Nicolas Giacometti, correcteur et responsable de la partie fabrication.

On vit dans le même bureau, on aime se consulter, être en première ligne parfois et laisser la place à l’autre d’autres fois. Le terme de maison d’édition a du sens, tout comme celui de chaîne du livre, et nous, on se dit équipage, ce qui correspond bien aussi à la forme Scop. L’édition, c’est du collectif. 

PdE : La sélection des titres ? 

R. : La répartition entre les livres d’auteurs étrangers et français est de deux tiers-un tiers. Cela tient à ce qu’à l’origine, Pierre Michaut s’est concentré sur des livres en anglais : il y avait du choix, car il y avait peu de publications en SF, en particulier, et cela a permis d’assurer une vraie qualité pour un démarrage. Le fait d’avoir été libraire auparavant enlevait un peu de naïveté à son goût de découverte. Il préférait que les choses se vendent ! Cette orientation nous a donné une habitude de lecture de titres étrangers, de rapport avec les agents – ce sont aussi des compétences à acquérir. À l’époque, le polar avait commencé sa mue pour être valorisé en grand format, mais pas la SF. Pierre, au-delà de la lecture, aimait fabriquer des livres, et il s’est dit : pourquoi ne pas publier du polar et de la SF dans un format qui ne soit pas que du poche. Cela nous a permis de nous singulariser, il y a eu un effet de préciosité, d’intérêt pour l’objet : le papier à grain, l’appel à des illustrateurs de l’époque. Les libraires ont aimé tout de suite, et ils nous ont suivi.

Une maquette originale pour la collection de classiques de l’Imaginaire

 

PdE : Combien de manuscrits français recevez-vous par an ? 

R. : De l’ordre d’un millier. C’est compliqué d’en assurer la lecture de façon régulière, d’autant qu’on ne cherche pas à en trouver à tout prix. C’est le coup de cœur, ou rien. Le programme, entre les titres étrangers et les auteurs déjà présents qui nous restent fidèles, n’est pas difficile à remplir. On fait toujours relire un manuscrit qui nous plaît à quelqu’un d’autre de l’équipe. Un livre lu, et sélectionné, ne peut guère être publié avant un an à un an et demi, car il y a tout un temps de travail du texte et de projection sur la commercialisation. Il y a entre nous des différences de goûts, mais cela n’empêche pas de juger de la qualité, et on se fait confiance. Pour certains livres que Yann Olivier affectionne particulièrement et moi moins, je vais être persuadée d’y aller parce que je le sais capable de le défendre. À l’inverse, il lui arrive de me dire : « Ce n’est pas ma came, mais je pense qu’il y a quelque chose, il faut que tu le lises ». La vraie démocratie n’étant pas la majorité, on ne peut porter un projet tout seul : il faut embarquer les autres avec soi. Tant pis si les livres qui « embarquent » ne sont pas ceux qui marchent le plus. Par contre, le plaisir partagé est capital ; alors on guette les lectures de nos collègues en espérant qu’ils auront du goût à s’engager pour le texte, tant à la communication qu’à la librairie. On éprouve une vraie satisfaction à ressentir des émotions communes au sujet d’un livre.

La collecte de manuscrits est très simple. Depuis des années, on a cessé la réception au compte-goutte, et on s’en félicite ; on en reçoit pendant un mois, et nous n’acceptons que des formats numériques. Chaque année, en fonction du temps disponible, on s’organise différemment, et on ne met pas en route une nouvelle cession de réception tant que ceux reçus précédemment ne sont pas lus. 

 

PdE : Personne n’effectue de pré-tri ?  

R. : Il n’y a pas de subalterne dans la boîte. Certains ont plus d’années de présence, voire plus de compétences dans certains domaines, mais personne ne fait le courrier des autres, sauf à rendre service. Les lectures, c’est toujours en plus de la réalisation du programme et de la vie de l’entreprise. On n’a jamais imaginé embaucher quelqu’un pour dire non à des textes. Alors, on décide du traitement des manuscrits reçus, en fonction de notre projection sur le travail de l’année ; quand nous trouvons un roman intéressant, nous le faisons relire, et nous en parlons pour décider si nous publierons ou pas.

 

PdE : Et le re-travail avec l’auteur ?  

R. : Cela dépend de là où en est le texte. Il y a des gens dont l’écriture est à un niveau de maturité ad hoc ; pour d’autres romans, il faut faire évoluer la structure narrative ; pour le moins, nous faisons toujours deux lectures de détail. Et lorsque nous estimons le livre bon à être publié, on le programme, en faisant en sorte d’équilibrer les sorties pour pouvoir défendre au mieux chaque publication. Le tirage moyen est de deux mille cinq cents exemplaires.

Parmi les incontournables : les traductions de Becky Chambers

PdE : Quelles sont les stratégies de diffusion ? 

R. : Nous sommes une maison d’édition qui fonctionne de manière très classique. On remplit toutes les cases, mais en petit. On a un diffuseur, avec des représentants qui passent dans les librairies pour présenter nos publications et prendre des commandes. On a des imprimeurs en France, en Pologne, en Italie et en Espagne. Les camions livrent chez le distributeur, puis, en fonction des commandes, le distributeur envoie les livres chez les libraires. On a un point de vente directe, notre librairie, négocié contractuellement avec notre diffuseur. Les commandes sur notre site, via l’Internet, ne sont pas si importantes que ça ; sans doute qu’avoir la librairie modère la vente en ligne. On ne participe pas non plus à beaucoup de salons en tant qu’exposant, pas plus de deux à trois par an. Nos auteurs sont invités, mais la plupart du temps, nous confions aux libraires sur place le soin de vendre les livres. Même aux Utopiales, nous faisons partie d’une grande librairie, gérée par une association à laquelle nous accordons la remise de librairie. D’ailleurs, seul notre collègue libraire participe à la librairie des Utopiales  ; plus personne de l’édition n’y travaille.

 

PdE : Côté BNF ? 

R. : On s’y tient. On a démarré comme ça avec Pierre Michaut et une personne s’occupe de l’administratif, il y a beaucoup de complexité maintenant dans tout ça, c’est la tâche de Noémie, et on compte sur elle.

 

PdE : Des informations exclusives à partager ?  

R. : Parlons de Becky Chambers, que nous publions depuis 2015. Cette romancière est une conteuse, au même titre que Pierre Bordage et Terry Pratchet. Elle ouvre de nouvelles formes, en proposant d’autres paradigmes de réflexion et de développement de la science-fiction, mais elle s’inscrit dans la tradition de raconter des histoires, cette littérature populaire que nous défendons depuis les années 1990. Dès L’Espace d’un an, la reconnaissance a été au rendez-vous, mais le succès est arrivé en 2022 avec Un psaume pour les recyclés sauvages. Alors, voici des informations toutes récentes au sujet de Becky Chambers. Nous savons qu’elle est en train de terminer un roman, qui ne sera ni dans le cycle des « Voyageurs », ni dans « Une Histoire de moine et de robot ». Nous œuvrons pour qu’elle revienne en Europe – nous saurons dans quelques semaines si ce sera en 2025… Et ce qui est certain désormais, c’est que nous ferons paraître à l’automne un recueil de nouvelles de la dame – cinq pépites, dont une dans l’univers des « Voyageurs ».

Neptune : La nouvelle collection poche de L’Atalante

PdE : Le catalogue 2025 est réjouissant ? 

R. : Il y a un « AssaSynth » de Martha Wells ce mois de février, c’est la série qui a véritablement lancé cette autrice que nous avions commencé à publier au début des années 2000. Parfois les auteurs ont des envies d’écrire autre chose que de l’imaginaire, de faire une pause, et il y a aussi des changements d’agents qui peuvent créer des ralentissements. Alors des auteurs tombent dans l’oubli. Pour exemple, nous avons relancé John Crowley avec Kra en 2020. Aucune nouveauté de lui n’avait été publiée depuis quasiment 20 ans. Des auteurs retrouvent aussi d’un coup le succès. En 2025, nous publierons la grande œuvre de ses débuts, Little, Big, dans une nouvelle traduction de Patrick Couton : nul doute que ce sera un événement.

Nous lançons aussi un autrice américaine très prometteuse, Premee Mohamed : on prévoit quatre novellas au cours de l’année ; elle a une palette qui couvre tous les segments de l’imaginaire. 

En fond de programme, tel un fond d’écran, l’année 2025 est celle du développement du poche, avec la création de la collection « Neptune », dont le lancement se fera en mars. Bref, faire des découvertes et faire un catalogue sont les deux passions qui nous animent. 

 

PdE : Le choix des novellas ? 

R. : Cela a été merveilleux de découvrir cette forme, le roman court, usuelle aux États-Unis et mal identifiée chez nous avant que notre confrère Le Bélial ne crée la collection Une Heure Lumière. L’engouement du public tient en partie au fait que c’est rapide à lire, moins onéreux, mais c’est la qualité des textes qui fait que le succès dure. Je ne sais pas comment sont formés les gens actuellement à l’université, mais il a fallu nous éduquer et éduquer les lecteurs, du fait d’une possible confusion entre novella et nouvelle. Il nous manque un mot. À nombre de pages égal, une nouvelle et une novella ne sont pas fichues pareilles. Ce n’est pas la même forme littéraire. Dans une novella, il y a un background de roman, qui rend le récit très dense. Ce sont d’ailleurs des textes qui demandent une vraie concentration à la lecture, car l’ellipse y est reine, mais sans renoncement à la complexité. Dans un roman, même les plus exigeants, on peut se perdre, pas dans une novella, où il faut tout absorber. Actuellement, nous publions essentiellement des novellas de langue anglaise ; les auteurs et les autrices françaises sont en train de s’y confronter, et cela promet de belles publications à venir.

Les éditions L’Atalante sont situées à Nantes Éditions L’Atalante

Le prix Ayerdhal de l’Imaginaire 2025 vient d’être décerné à Mireille Rivalland pour l’ensemble de son investissement pour le développement des littératures SFFF.  Mireille Rivalland lauréate du Prix Ayerdhal 2025 | Éditions L’Atalante

About Xavier FLEURY

Matelot du fanzine Présences d'Esprits, chargé des demandes de Services Presse pour les nombreux chroniqueurs de la cabine Livres.

Consultez aussi...

Rencontre avec Marion Mazauric – Les éditions Au Diable Vauvert

Entretien réalisé lors des Utopiales 2024 par Xavier FleuryPrésences d’Esprits : Comment perçois-tu la place de …

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

WP2Social Auto Publish Powered By : XYZScripts.com