« La Fille Automate » de Paolo Bacigalupi

POUR !

Prix Nebula 2009, Prix Hugo 2010, Prix Locus 2010, Prix John Wood Campbell Memorial 2010, Prix Planète SF des blogueurs 2012, Grand Prix de l’imaginaire 2013…

Eh bien, en voilà un palmarès ! Ce roman mérite-t-il autant d’hommages ? La réponse est oui, sans conteste.

Paolo Bacigalupi nous embarque dans un futur (proche ?) où Monsanto aurait pris le pouvoir, alors que les énergies fossiles se sont épuisées, transformant radicalement la géopolitique mondiale. Les épidémies ravagent la Terre, des dizaines d’espèces végétales et animales ont disparu, entraînant faillites et famines. Dans une Bangkok quis’attache à contenir la montée des eaux, Anderson Lake, représentant d’un géant américain de l’agroalimentaire, croise le chemin d’Emiko, la fille automate. On s’attend à voir Emiko jouer tout de suite un rôle fondamental, pourtant, l’auteur nous balade d’abord dans cet univers violent, où la survie quotidienne fait office d’avenir. Politique, affairisme, coups d’État, scientifiques qui jouent aux dieux, réfugiés chinois qui tentent de survivre : une faune sans cesse grandissante se croise et se recroise dans un ballet mortel.

Paolo Bacigalupi maîtrise son intrigue de main de maître, et petit à petit, le puzzle se dévoile, tandis que s’approfondissent les questionnements. On ne lâche pas un instant ce roman touffu, certes, mais emballant, aux enjeux hélas très contemporains ! La fille automate qui donne son titre à l’ouvrage prend peu à peu sa place, donnant sens à de nombreux éléments qui semblaient jusque là disparates.

Roman d’anticipation, roman d’initiation, qui nous propulse dans le futur pour mieux interroger le présent, La Fille automate retrouve les accents de la SF politique, celle qui pousse le lecteur à se questionner sur les choix de société d’aujourd’hui, et sur l’avenir qu’ils nous promettent… Une vraie réussite !

Chronique de Sylvie Gagnère


CONTRE !

Le roman de Paolo Bacigalupi a obtenu au moins une demi-douzaine de prix littéraires, c’est dire tout l’intérêt théorique de cet ouvrage.

On y retrouve l’organisation des romans modernes composés d’une multitude de chapitres (50) sautant du coq à l’âne avec une belle agilité. Le lecteur n’a qu’à bien se tenir.

Comme dans beaucoup d’ouvrages de notre époque, le thème est assez désespérant : un univers qui a perdu les moyens de la technologie moderne essaie de survivre en appliquant la science génétique sur toutes les espèces végétales et animales. Inévitablement, on y trouve les survivantes des entreprises américaines précédemment florissantes ; à coup de semences non reproductibles, elles rançonnent le pauvre monde au milieu duquel Bangkok, la capitale de la Thaïlande, résiste à sa manière et parvient à une certaine autonomie grâce à ses propres semences. Ce n’est pas du goût des Internationales qui ont dépêché un espion sous les traits du blond Anderson, au demeurant sympathique, mais pas trop. Que peuvent faire les individus dans l’environnement chaotique que nous décrit l’auteur et où chacun doit faire face à la misère ? Ça commence fort, dans la pénurie, et ça ne cesse de s’aggraver, dans une société qui ne fonctionne qu’avec des passe-droits, des prébendes, des dessous de table, des combines et consorts. Un corps du ministère de l’Environnement dit des chemises blanches aux ordres d’un leader « Jaidee », surnommé le Tigre de Bangkok, fait régner un semblant d’ordre en recevant des bakchichs en tout genre.

Côté ésotérique, ce n’est pas trop mal non plus. Pendant que des réfugiés malaisiens meurent de faim dans les rues, l’énergie motrice d’une usine est fournie par des mastodontes transgéniques tournant indéfiniment dans des manèges adaptés. L’usine SpringLife produit des ressorts emmagasineurs d’énergie à base d’algues cultivées dans des bassins spécialisés ! La description de leur fabrication vaut son pesant de cacahuètes. À ne pas manquer. Cette usine est la tête de pont de l’Internationale AgriGen qui la subventionne en cachette. Anderson qui en est le patron a comme bras droit un vieillard asiatique aux capacités d’adaptation bien particulières. Répondre aux questions d’Anderson tout en actionnant des pédales pour alimenter son ordinateur et prier ses Dieux ne lui fait pas peur.

Ce roman est une belle mise en garde contre la programmation génétique en imaginant les extrémités auxquelles elle peut conduire autant sur les végétaux que les animaux et les humains. Ainsi, l’auteur aurait pu titrer « la putain programmée génétiquement » (le terme « putain » pouvant être remplacé par « fille de joie » ou « péripatéticienne »). Il décrit, avec des parties scatologiques qui semblent prouver une certaine connaissance de la chose, tout ce qu’on l’on peut demander à une humaine génétiquement modifiée en la personne d’Emiko, la fille utilisée pour le plaisir de chacun. Sauf par Anderson qui lui témoignera de la compassion avant de lui apporter sa protection tardive.

En imaginant une société décadente aux mains d’un « green-business » dominateur et expansionniste le roman s’apparente plus ou moins à un ouvrage de science-fiction. Hélas ! l’auteur en a dissimulé les lignes principales dans les multiples chapitres porteurs chacun d’une anecdote particulière et il faut attendre les dix dernières pages pour connaître une fin évidemment impromptue et guère vraisemblable.

Le lecteur aura intérêt à savourer chaque péripétie proposée sans trop attacher d’importance au devenir des personnages dont la plus grande partie disparaîtra, comme Bangkok elle-même.

Chronique de Gérard Bouyer

A propos de Syl

Fervente adepte des cultures de l'imaginaire (et des autres), curieuse de tout (et du reste), boulimique du verbe (qui a dit, mais pas que ?), enfin et accessoirement présidente du concours Visions du Futur (pots de vin acceptés).

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