Votes pour le match d’écriture des Imaginales 2015 : « Mon univers grandit de seconde en seconde. Je crois ? »

« MON UNIVERS GRANDIT DE SECONDE EN SECONDE. JE CROIS ? »

Et voici pour le second thème du match d’écriture des Imaginales 2015. Celui-ci est plus qu’intriguant. A votre avis, que nos auteurs motivés ont-ils pu faire sortir de leurs neurones torturés ?

Bon vote ! Et n’oubliez pas, on ne vote qu’une fois 🙂

  • Aller jusqu’au bout de la mer
  • Dreamer
  • Cosmoludie
  • La naissance du prince charmant
  • La boîte
  • Pépins de fruits en LA majeur
Contrainte 1 Une ondine alcoolique

ALLER JUSQU’AU BOUT DE LA MER

Les vagues s’écrasaient sur la plage avec un bruit de mouchoir froissé. L’ondine s’essuya les yeux, en regrettant d’avoir gaspillé un peu de son précieux sel pour quelqu’un qui n’en valait pas la peine.

— Je n’arriverai jamais à boire tout ça, dit-elle tout haut.

— C’est la seule façon de l’oublier, Tara. (Ses trois sœurs, autour d’elle, jouaient dans les rouleaux ourlés d’écume, tandis qu’elle restait assise sur le sable humide, ses cheveux ruisselant sur ses épaules nues.) Et c’est une toute petite mer…

— Une gorgée après l’autre, lui lança Sy, avant de l’asperger d’un revers de queue.

— Vous me promettez que l’océan s’arrête au bout de l’horizon ?

— Juste après.

Tara se décida. Les souvenirs de son amour perdu l’enfermaient dans un désert aussi sec que la mort, alors que les vagues promettaient de la laver. De l’intérieur.

— J’ai déjà tellement bu, murmura-t-elle avant de s’avancer au milieu des vagues.

— Tu buvais à la même source, petite sœur. Elle a fini par te dessécher. La mer rassemble toutes les eaux, tu verras.

Tara plongea, les yeux mi-clos, caressa du doigt les rides sur le sable du fond qui ressemblaient au front de son aimé quand il était parti. Elle se mordit les lèvres et sentit le goût de son propre sang ouvrir des portes dans son esprit.

J’aimerais tant l’oublier, se dit-elle. Mais si je le perds, je me perds aussi.

Elle sentit ses branchies s’ouvrir, ses jambes fusionner. Ses pieds qui avaient tant saigné quand elle dansait s’étirèrent en forme d’éventail. C’était la première étape, la plus simple. Se rappeler ce qu’on était avant qu’un autre vous l’arrache. Le goût des vins fins et des alcools forts d’après repas, dans le palais du prince, avaient gravé leur empreinte acide sur sa langue. Une empreinte qu’elle associait aux baisers impatients de son aimé. À ses doigts qui la bâillonnaient pour que son plaisir soit silencieux.

Les soirs où, retenu par ses obligations à la cour, il ne montait pas la rejoindre, elle goûtait aux eaux amères qu’il gardait enfermées dans des flacons. Le bruit du ressac envahissait peu à peu son esprit et elle oubliait ce qu’elle était. Jusqu’à ce que le sommeil la noie.

Elle refit surface sans avoir pu se résoudre à ouvrir la bouche. Son chant restait coincé au fond de sa gorge. Le rivage, au loin, brillait sous la lumière des premières étoiles. Elle perdait ses repères. La mer était un miroir qui ne la reflétait plus.

Une gorgée après l’autre…

Elle se laissa de nouveau couler, jusqu’à ce que le bleu se fasse violet, que les courants froids durcissent les pointes de ses seins mieux qu’il n’avait jamais su le faire. Il avait remplacé les vagues et les courants, il l’avait entraînée dans ses profondeurs à lui, là où elle pensait qu’elle serait à sa place. Là où il avait voulu l’enfermer, pour mieux l’oublier ensuite.

Elle écarta les lèvres, sentit l’amertume des eaux se mêler à celle de ses pensées. Elle n’avait sans doute que ce qu’elle méritait. Elle avala, avala encore, sans ressentir le moindre soulagement. La mer la traversait sans la laver – loin de l’aider à oublier, l’eau lui rappelait ce qu’elle avait été.

— Je ne veux pas redevenir celle que j’étais. (Un filet de bulles s’échappa de sa bouche entrouverte.) J’irai jusqu’au bout de la mer, puisqu’il le faut.

D’un coup de queue puissant, elle piqua vers le fond. Un banc de poissons s’entrouvrit pour la laisser les traverser. L’eau glacée agaça ses dents qui ne savaient plus mordre. Elle accéléra, consciente que l’horizon s’éloignait au fur et à mesure qu’elle cherchait à l’atteindre.

— Une toute petite mer, en vérité. (La voix de Sy se faufila jusqu’à son oreille et Tara sut qu’elle nageait au-dessus d’elle, le corps luisant d’écume.) Ta propre amertume la contiendrait sans problème.

— Je…

— Tais-toi et bois !

Leur première rencontre… Lui, sur un vaisseau de bois qui craquait sous le vent, entouré des lumières des lampes à huile. Une voix, un ton impérieux. La certitude d’une histoire plus grande qu’elle-même. Elle avait chanté pour lui, ce soir-là, moins pour l’attirer dans ses eaux que pour le convaincre de ne pas s’éloigner.

Elle avala le souvenir, le sentit tourbillonner dans son ventre. Les yeux levés vers la surface, elle cracha une bulle couleur perle et la regarda s’élever avec une certitude tranquille, vers la lumière. Puis elle entreprit d’engloutir la mer.

— Ça suffit, maintenant ! (La voix de sa mère, impérieuse, tandis qu’elle leur faisait part de sa décision.) Tu n’es encore qu’une enfant, les océans du ciel ne sont pas pour toi.

— Je me sens à l’étroit, mère.

— Et tu crois que ton univers grandira en sa présence ? (Sa mère faillit ajouter quelque chose, puis se détourna.) On ne s’enrichit pas en perdant ce que l’on est.

— Il aime ce que je suis !

— Seras-tu capable de t’aimer toi-même quand il aura cessé de le faire ?

La mer engloutit ses souvenirs, comme des épaves, mais elle plongea pour les sauver. Elle les but, les recracha, jusqu’à ce qu’ils se fondent dans la saveur salée, infiniment riche, de ses émerveillements ou de ses larmes.

La queue battant les courants, les bras tendus devant elle comme un harpon, elle nagea en ligne droite jusqu’à laisser l’horizon derrière elle.

Le sel nouveau brûla ses lèvres. D’une torsion des reins, elle se vrilla vers le haut et savoura la vitesse de sa course qui la fit plonger dans l’air ténu de la nuit.

— J’ai été aimée, cria-t-elle au vent, avant de retomber dans une gerbe d’écume. Les étoiles indifférentes la contemplèrent de leur œil lointain.

Devant elle, l’océan s’étendait jusqu’à l’infini. Elle se confondait avec l’obscurité de la nuit, avec l’immensité de la Voie lactée qui brillait au-dessus d’elle. Allongée sur le dos, les cheveux éparpillés autour de sa tête, elle se décida enfin à pleurer. À pleurer vraiment, jusqu’à se dissoudre, jusqu’à se vider. Non pas ce qu’elle avait perdu, car elle avait choisi de ne rien oublier, mais face à ce qui l’attendait. Où qu’elle porte le regard, les potentialités étaient infinies. Chaque battement de cœur en ouvrait de nouvelles, son univers s’agrandissait de seconde en seconde. Et elle était seule.

En franchissant l’horizon, elle avait perdu ses sœurs. Elle entendait encore, comme l’écho affaibli d’une autre vie, la musique du bal et les mots murmurés au creux de son oreille ourlée comme un coquillage. Des mots dont elle pouvait se souvenir, mais qui n’avaient pas plus de substance que des fantômes.

— Dois-je boire aussi cette mer ? demanda-t-elle à ce qui l’entourait.

Seul le silence lui répondit. Le vent la fit frissonner, elle croisa les bras autour de ses épaules et se laissa couler. Puis, à grandes goulées décidées, elle choisit d’engloutir l’immensité. De grandir en elle, jusqu’à ce que l’univers rétrécisse à sa portée et qu’elle s’y sente de nouveau à l’étroit.

Pour recommencer à vivre.

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One comment

  1. Très joli, j’aurai aimé simplement que le suspense (la réalisation que l’on parle de planètes/galaxies) soit gardé encore plus longtemps… Bravo!

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