« Eurydice déchaînée » de Melchior Ascaride »

Orphée est poète et musicien, et sort d’un milieu privilégié lorsqu’il épouse Eurydice, aux origines plus modestes (c’est une dryade, elle se réclame d’un chêne).

Peu après leurs épousailles, fuyant les avances importunes d’un berger, Eurydice est mordue par un serpent et meurt. Orphée, éploré, décide d’aller la chercher dans les Enfers. Il devient ainsi l’un des rares héros à y être descendu de son vivant, et à en être revenu.

Il obtient de Hadès la permission de ramener Eurydice avec lui, c’est à-dire à la vie, à condition qu’elle marche derrière lui, et qu’il ne se retourne que lorsqu’ils seront revenus à la lumière. Ils y sont presque lorsque, n’entendant plus les pas de son aimée, Orphée se retourne et… renvoie ainsi Eurydice dans le royaume des morts.

C’est sur cette aventure et le chagrin qu’il éprouve ensuite qu’Orphée bâtit sa célébrité et sa carrière de musicien poète. Melchior Ascaride est graphiste pour la maison d’édition Les Moutons électriques. Il a conçu son livre comme un objet, et pas seulement comme une collection de mots sur des pages collées ensemble.

Cet objet est humble par sa taille, la qualité de son papier et le nombre restreint de ses couleurs. Mais cet objet a une reliure cousue ! Et cet objet est intéressant. Quand on lit, on rencontre des illustrations qui rappellent la bande dessinée, mais aussi des changements de mise en page, de disposition et de couleur du texte. L’œil est plaisamment chatouillé.

Melchior Ascaride dédie son texte aux « innombrables bafouées de Grèce ». Que raconte-t-il ? À tous ceux qui ont été effarés par la quantité de viols et d’unions forcées que l’on trouve dans la mythologie grecque, par ailleurs si captivante, qui ont été déçus que Thelma et Louise règlent leur histoire, comme tant d’autres héroïnes, en se suicidant, il propose d’autres possibilités.

Eurydice se révolte. Elle refuse de se laisser avaler par la mort. Elle remet en cause « tout le système », et enrôle au passage les Danaïdes et Perséphone ; ainsi l’auteur, qui est un homme, ajoute à ce combat féministe cet ingrédient trop rare : la solidarité féminine. Il y met même des personnages masculins qui prennent conscience de leur sexisme !

Le texte est à la première personne, il sort de la bouche d’une Eurydice enragée qui a décidé de rejeter le sort qui lui est imparti. N’ayant lu ni Homère, ni aucun auteur grec de l’époque, je me permets juste d’avancer l’hypothèse que l’auteur a tenté de donner à son texte un souffle homérique, en tout cas très lyrique, quoique sans les vers.

Eurydice nous interpelle de manière véhémente. L’écriture est nourrie d’une profusion de comparaisons – pas toutes heureuses –, d’adjectifs, d’adverbes, de questions, d’exclamations, et de vocabulaire, dont une richesse de mots d’origine grecque, comme il se doit. Ce ton peut empoigner dès les premières lignes, mais aussi paraître indigeste aux amateurs de sobriété. Les dialogues paraissent très décalés. J’ai néanmoins savouré les insultes, par exemple « Que la gale te ronge ! ». J’ai pris plaisir à lire ce court roman.

Chronique d’Amanç ‘1869’

A propos de Christian

L'homme dans la cale, le grand coordinateur, l'homme de l'ombre, le chef d'orchestre, l'inébranlable, l'infatigable, le pilier. Tant d'adjectifs qui se bousculent pour esquisser le portrait de celui dont on retrouve la patte partout au Club. Accessoirement, le maître incontesté du barbecue d'agneau :)

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