« Désordres & Chimères » de Marthe Machorowski

Il s’agit d’un recueil de nouvelles. Pas un hasard. L’auteur privilégie la forme courte, si injustement sous-estimée en France où le roman est roi. Elle aime néanmoins varier les formats. Outre quatre novellas, déjà publiées en ligne par L’ivre Book sous le titre de Féminin Plurielles, il y a quinze histoires courtes, dont la longueur s’échelonne d’une seule page pour Absence à seize pour Une grande artiste 3.À quelques exceptions près, ces textes ont été écrits, ou du moins commencés, lors d’ateliers d’écriture (à savoir, ceux de Zeugma et de Présences d’Esprits).

Si le titre du recueil surprend le lecteur, la quatrième page de couverture lui en fera comprendre le sens. Aucun récit n’est possible si règne l’ordre, mais que chagrin, malentendu, petit incident ou catastrophe viennent troubler celui-ci, alors naîtront les histoires. Elles s’enracineront dans la réalité (historique ou quotidienne) ou suivront les traces des Chimères, en adoptant toutes les formes de l’imaginaire. Peu importe le genre choisi : selon l’auteure, la littérature réaliste n’est ni plus ni moins intéressante que les littératures de l’imaginaire. Voilà le lecteur averti : ce recueil est sous le signe de la plus grande diversité possible. Dans la première partie, le réalisme s’inscrit dans une chronologie (Autrefois, Hier, Aujourd’hui). Dans la seconde, dédiée aux hautes terres du rêve, l’auteur nous montre le fantastique à notre porte ou nous fait évader loin dans l’espace et dans le temps (Autrement, ailleurs, demain peut-être).

Diversité aussi dans la forme, car à chaque instant, le style s’adapte au sujet traité. Le choix des mots et des temps, tout compte. Ainsi, le présent de narration donne son unité à Une fille pour la lignée, par delà les changements d’époques ou de lieux. Mais l’auteur a soin de ne pas faire parler la même langue aux personnages du Moyen Âge et à ceux d’aujourd’hui. Avec De Lune et de rêve, l’utilisation soudaine de verbes au passé nous ramène d’un coup dans la réalité, après le rêve de Césaire vécu au présent. Chute d’autant plus brutale après le poème en créole qui, par sa musicalité, nous emportait dans un monde magique. Dans Comme un boomerang, les expressions adolescentes de Fatima et Solveig sont savoureuses. De même la verve populaire du vieux narrateur, ex-vendeur de bonbons, dans Tournez manèges !Et quand il rabroue son public, le lecteur aussi se sent interpellé et il croit être assis parmi les pépés de l’hospice.

Le rythme des phrases, les sauts de ligne, cela aussi fait sens. Ainsi dans La Chouchouka, à travers l’alternance de phrases longues ou hyper brèves, ou l’écho de répétitions volontaires, on partage les émotions de la narratrice, son énervement ou son apaisement, et on suit chacun de ses gestes. On assiste au dialogue sur le pas de la porte, tantôt par les répliques répétées telles quelles, tantôt par le résumé en style indirect…

Bref, tous les moyens sont utilisés pour retenir l’attention du lecteur et le garder sous le charme jusqu’au dernier mot. Car n’oublions pas : chaque texte est construit pour amener la surprise finale. Gageons qu’en refermant le livre, vous ne saurez plus où passe la frontière entre réel et rêve.

Chronique de Marie Renée Lestoquoy

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