Dire ce qu’est la justice, imaginer ce qu’elle pourrait être dans le futur, dans un autre monde, avec d’autres principes ? Balancer entre trouver la justice trop clémente, voire laxiste, trop sévère, ou même expéditive, n’est-ce pas ce qui arrive à chaque fois que de grands procès défraient la chronique ? Le sujet est donc ambitieux, mais le défi est relevé avec beaucoup de talent par les auteurs sélectionnés par Hélène Marchetto.
La Face obscure de Mercure d’Alain Rozenbaum relate avec beaucoup de sensibilité les difficultés pour un robot de bénéficier d’un traitement juste, alors que l’émancipation leur a été officiellement accordée. Ramos en fait les frais lorsqu’il est accusé d’avoir tué un homme ; aucune de ces protestations d’innocence ne sera entendue, mais il ne se laisse pas abattre. L’auteur nous offre une histoire de ségrégation et d’injustice criante, mais également de résistance et de combat, très bien menée.
Catherine Eloy imagine dans Le Sculpteur un étrange caisson où sera enfermé le condamné qui, grâce à la réalité virtuelle ressentie, devra se mettre à la place de ses victimes. Une forme de justice bien proche de l’expression « œil pour œil, dent pour dent », sauf que le prisonnier peut demander à sortir quand il le souhaite. En principe.
Les thèmes chers à Yann Quero se retrouvent dans sa nouvelle Le Procès de l’homme jaune : la multinationale Bloomcore Incorporated, accusée d’être responsable d’une pollution majeure, va passer en procès devant l’UNEC, une cour internationale, chapeautée par l’ONU, et chargée d’instruire les crimes environnementaux. Tous les moyens sont bons pour s’en sortir : corruptions, chantages, menaces. On se prend au jeu de ces financiers retors et sans scrupules, jusqu’à une fin surprenante et parfaitement amenée ! Dans notre monde hyper-connecté, où la vox populi des réseaux sociaux a pignon sur rue, pourquoi ne pas imaginer que l’issue d’un procès dépende d’une « votation publique » pour déterminer l’innocence ou la culpabilité de l’accusé ?
Bernard Amade présente dans Juste justice un avocat qui utilise tous les biais des réseaux sociaux pour peser sur la votation. Un texte drôle et très bien construit !
Jean-Pierre Andrevon offre avec Condamné un récit très dur, dans lequel un homme est condamné à vivre, encore et encore, des morts atroces, des souffrances épouvantables, sans comprendre pourquoi on lui inflige cela. Jusqu’au moment où il se souviendra… Dans ce monde policé où la peine de mort n’existe plus, le châtiment peut s’avérer infiniment plus cruel. Parfaitement construite, distillant les révélations pour amener petit à petit le lecteur à saisir la raison de ces tortures, la nouvelle fait froid dans le dos…
Sorane Begaro a écrit un texte indéniablement original. Dans La Douceur de l’oubli, lorsque quelqu’un meurt, une société se charge d’éliminer tout souvenir de son existence dans l’esprit de tous ceux qui l’ont connu, pour éviter la souffrance de la perte. Les gentils ont une piqûre d’oubli, les méchants une piqûre de mort. Mais l’oubli est-il si vertueux ? Cela peut s’avérer une punition terrible quand on perd ainsi une grande partie de sa vie. Un texte remarquable par son originalité, qui aurait mérité une construction plus aboutie.
Encore un récit diablement original avec L’Esprit et la lettre d’Éric Morlevat : il n’y a plus de frontières, et chaque individu est libre de choisir sa nationalité et de vivre selon sa législation, quel que soit l’endroit où il réside. Lorsqu’un homme meurt, le policier chargé de déterminer s’il s’agit d’un meurtre ou d’un suicide, interroge les voisins : les communistes, le fasciste… ce dernier avoue le meurtre, mais se sert des lois de son groupe pour en valider la légalité. L’IA judiciaire se retrouve déchirée entre l’esprit et la lettre du droit… Un texte de grande qualité, très bien écrit, avec un système sociétal étrange, mais très bien conçu, et une fin excellente.
Ambiance western pour Robot Justice, une nouvelle pleine d’humour de Julie Conseil. La lutte des salauds, habitués à utiliser l’intimidation ou le chantage et qui se heurtent à la logique implacable d’un robot, est réjouissante.
Enfin, Ketty Steward dépeint un monde dans lequel la peine de mort n’existe pas. Les criminels sont enfermés jusqu’à montrer du repentir, ou au maximum 30 ans. Mais Dana Richard a tué son patron, et après 27 ans de prison, revendique toujours son geste. Elle prend ainsi le système à son propre piège… Une nouvelle qui repose là aussi sur une excellente idée ! L’ensemble de l’anthologie est de très belle facture, avec des auteurs qui ont su faire preuve d’originalité et de réelles qualités d’écriture. À recommander chaudement !
Chronique de Sylvie ‘822’ Gagnère