Chaque nouvelle (elles sont en gros dans l’ordre chronologique de parution) est accompagnée d’un texte de présentation tout à fait intéressant car il parle surtout de cuisine littéraire. Qui l’a demandé, quelles modifications y ont été apportées, pourquoi, il n’y manque que le prix encore que des commentaires qualitatifs (bon prix, excellent prix…) soient donnés.
Au travers de ces commentaires on distingue un Silverberg beaucoup plus artisan qu’artiste, soignant les goûts de son lectorat et (suivant le cas) de son anthologiste ou rédacteur en chef. En particulier nous avons droit à 8 nouvelles achetées par Playboy (sur trente nouvelles en tout). Hé bien chacune fait une part non négligeable au sexe…
Pour les textes, seuls quatre sont inédits, même si toutes les traductions ont été refaites ou au moins révisées. Mais peu d’entre elles titillent la mémoire du vieil amateur. En effet la plupart ont été publiées en recueil (Les Éléphants d’Hannibal, Pavane au fil du temps, Compagnons secrets), formule mal aimée des lecteurs français, qui préfèrent une revue proposant des auteurs différents.
Chaque nouvelle est une œuvre soigneuse, travaillée, avec des personnages bien dessinés, des environnements soigneusement décrits et toujours parfaitement crédibles, une intrigue intéressante et où les rebondissements ne manquent pas. Les 958 pages s’avalent sans coup férir et avec un grand plaisir. En outre comme les nouvelles sont en général assez courtes, on peut lire chacune d’une traite.
Alors pourquoi ce sentiment de bof? pourquoi ces nouvelles sont-elles oubliées sitôt lues? à mon avis parce qu’elles ne sont pas vraiment du ressort de la science fiction, du moins comme nous l’aimons. La première (Un millier de pas sur la via dolorosa) est bien décrite par Silverberg comme ne faisant pas partie du genre, c’est une histoire de Peyotl et de démons mexicains, avec un peu de sexe pour Playboy. Une autre, (la dernière, La Compagne secrète), transpose une nouvelle de Conrad (L’Épée d’Orion, un passager clandestin que le capitaine cache à son équipage ) dans le cadre des vaisseaux spatiaux et des passagers réduits à l’état de logiciel, mais quoi que s’en défende Silverberg, la technologie n’est qu’un décor, l’histoire est toute humaine. Une des plus connues, Les Éléphants d’Hannibal, une histoire d’invasion extra terrestre est une charmante et amusante pochade, mais bon. La meilleure à mon goût, Le Pape des chimpanzés, quand des chimpanzés faisant l’objet d’une expérience scientifique découvrent la religion, est passionnante, pose d’intéressantes questions sur la nature humaine et la religion, mais le cadre d’un laboratoire d’ethnologie n’est pas spécifiquement SF.
Les plus typés dans notre genre favori pourraient être Le Palais à minuit (l’Amérique divisée en des milliers d’états) ou Gianni (on transfère dans le présent Pergolese, mais il n’aime que la musique techno) ou Amanda (une zazie californienne égotiste rencontre un extra terrestre) mais dans aucune le contexte extra-ordinaire n’est le sujet et la cause de l’histoire. On a l’impression que Silverberg pond, qu’il fait nouvelle de tout bois et que la SF n’est qu’un décor. On comparera avec les récits de Sturgeon ou de Lem, où, à l’inverse, sous des dehors ordinaires, l’étrangeté est la base même de l’histoire
L’envers de cette médaille c’est qu’on ne s’ennuie pas une seconde, il y a une grande diversité de thèmes, de couleurs, de situations, c’est vivant on est emporté, on en redemande.
Mais est-ce bien de la science fiction ?
Chronique de Jean-Jacques ‘611’ Viala
Éditeur | J’ai Lu |
Auteur | Robert Silverberg |
Pages | 958 |
Prix | 10€ |